Après une hausse de leur rémunération de 30 000 $, il y a trois mois, des députés obtiendront une prime de 125 $ par jour parce qu’ils ont repris les travaux parlementaires avant la majorité de leurs collègues, fin août, pour l’étude en commission parlementaire de la réforme Dubé.
La prime de présence, en vigueur depuis des décennies, est versée aux élus dont la participation est requise alors que les travaux en Chambre sont ajournés. Elle s’ajoute à leur indemnité de base, qui est passée de 101 561 $ à 131 766 $ en juin, à la suite d’une augmentation controversée de 30 %.
« Un parlementaire qui participe à une séance d’une commission parlementaire a droit à une allocation de présence de 125 $ pour chaque jour où la commission siège alors que l’Assemblée ne siège pas », a déclaré une porte-parole de l’Assemblée nationale, Béatrice Zacharie.
Du 21 au 29 août, la Commission de la santé et des services sociaux a repris l’étude du projet de loi 15, l’imposante réforme du ministre de la Santé Christian Dubé.
Au cours des six séances prévues, 16 députés caquistes se sont relayés par groupes de six face aux partis de l’opposition représentés par deux élus du Parti libéral du Québec (PLQ), un de Québec solidaire (QS) et un du Parti québécois (PQ).
L’Assemblée nationale a indiqué que le montant de 125 $ leur est versé automatiquement en fonction de la liste des présences établie à chaque séance. Le premier ministre, les ministres, le chef de l’opposition officielle et la présidente de l’Assemblée nationale n’y ont pas droit.
Après validation auprès des ailes parlementaires, les députés André Fortin, du PLQ, Vincent Marissal, de QS, et Joël Arseneau, du PQ, sont les seuls à avoir participé aux six séances, ce qui leur vaudra une bonification de 750 $ de leur rémunération globale.
La députée libérale Michelle Setlakwe recevra 625 $ pour cinq séances. Du côté gouvernemental, les élus caquistes Samuel Poulin et Mathieu Lévesque sont ceux qui ont été le plus souvent conscrits, lors de quatre séances, ce qui leur vaudra 500 $. Leurs collègues ont quant à eux été présents lors d’une à trois séances.
L’an dernier, un budget global de 75 000 $ a été consacré au versement de 600 primes de présence aux députés admissibles, comparativement à 67 250 $ en 2020-2021 et à 74 000 $ en 2019-2020.
À Ottawa, rien d’équivalent n’est prévu pour les élus fédéraux de la Chambre des communes. « Il n’y a aucune rémunération additionnelle prévue pour un député lorsque des comités parlementaires siègent alors que les travaux de la Chambre sont ajournés », a déclaré Amélie Crosson, directrice des communications du bureau de la présidence de la Chambre des communes.
Au Sénat, la directrice des affaires parlementaires et juridiques, Marie-Pier Albert, a également indiqué que les sénateurs ne disposent pas de primes de présence.
Plat de bonbons
Président de l’Assemblée nationale de 1996 à 2002, Jean-Pierre Charbonneau croit que les députés sont assez bien payés pour pouvoir se rendre à Québec, même hors session, pour faire leur travail dans des commissions parlementaires sans recevoir de prime. « Des fois, il faut avoir un petit peu de décence, a-t-il dit. Je ne pense pas que cette allocation soit justifiée maintenant. »
Des fois, il faut avoir un petit peu de décence. Je ne pense pas que cette allocation soit justifiée maintenant.
M. Charbonneau souligne que la hausse de 30 % de l’indemnité de base, votée en juin par les députés, a été « un bond spectaculaire ». « Ils se sont bien servis, les mains dans le plat de bonbons, a-t-il dénoncé. Il y a des limites. Il y aurait eu lieu de revoir la rémunération et la façon dont ça a été fait. »
Jacques Chagnon, président de l’Assemblée nationale de 2011 à 2018, estime que le montant de 125 $ est difficile à justifier après l’augmentation de 30 000 $ en juin. « J’aimerais entendre leurs arguments pour dire qu’on devrait continuer, a-t-il dit. Franchement, je manquerais d’arguments. Pourtant, vous parlez à quelqu’un qui a toujours pris la défense des parlementaires et pas un peu, beaucoup. »
M. Chagnon, élu député libéral pour la première fois en 1985, croit que la prime avait plus d’importance quand les sessions commençaient environ un mois plus tard qu’actuellement, avant une réforme parlementaire il y a une dizaine d’années. « C’était perçu comme un per diem pour le travail qui est hors session », a-t-il estimé.
Élu député péquiste pour la première fois en 1976, M. Charbonneau juge que la prime de présence pouvait être justifiée à une autre époque. « Le salaire des députés n’était pas si extraordinaire que ça », a-t-il dit.
Hausse controversée
Cette prime de 125 $ fait partie de l’ensemble de la rémunération des députés. En plus de leur salaire de base de 131 766 $, les députés reçoivent une allocation de dépenses de 20 256 $, ainsi qu’un remboursement de leurs frais de déplacement jusqu’au parlement. Leurs dépenses de logement à Québec sont aussi remboursées jusqu’à concurrence de 17 800 $ par année.
En juin, la décision d’augmenter l’indemnité de base de 30 000 $ avait suscité l’opposition de trois Québécois sur quatre, selon un sondage Léger payé par QS.
Libres de décider, la plupart des élus de QS ont refusé cette hausse, dont ils remettront les sommes sous forme de dons à des organismes. Les trois députés du PQ ont également refusé cette augmentation. Ils reverseront des dons équivalents à ce qui excède le pourcentage de la hausse salariale obtenue par les employés de l’État.
Surpris
Des députés qui étudient le projet de loi 15 étaient surpris d’apprendre l’existence de la prime de présence, lorsque questionnés à ce sujet par Le Devoir.
Le député de QS Vincent Marissal n’était pas en mesure de déterminer la pertinence de cette prime. « C’est à voir, a-t-il dit. Tu donnes des allocations quand il y a une contrepartie. »
M. Marissal, qui gardera une partie de la hausse de l’indemnité de base, a affirmé que cette somme s’ajoutera au montant qu’il transformera en dons. « Ça va aller dans le gros pot commun », a-t-il expliqué.
Le député péquiste Joël Arseneau a affirmé que la prime de présence montre que le gouvernement aurait dû prendre en compte l’ensemble de la rémunération avant d’augmenter l’indemnité de base. « On va prendre acte que la réforme a été partielle, a-t-il déclaré. Si on veut tout remettre en question, qu’on le fasse, et je pense qu’on devrait le faire. »
La députée libérale Michelle Setlakwe a déclaré que le principe justifiant la prime de présence était toujours valable malgré la hausse de 30 000 $. « J’aurais tendance à dire oui, parce qu’on commence vraiment avant, ce sont de longues journées de travail », a-t-elle dit.
Tout comme ses trois autres collègues, le député caquiste Mathieu Lévesque ignorait qu’il avait droit à cette prime. « Je ne suis pas là pour ça, a-t-il dit. Je suis là pour faire avancer le dossier en santé. »