10 ans après, nous sommes tous les enfants de GTA 5 – Actu

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To Live and die in Los Santos

La vraie surprise, c’est l’interminable attente qui a séparé le public console de la véritable mise à jour next-gen, finalement mise en ligne en mars 2022 pour les joueurs PlayStation 5 et Xbox Series. Enfin, Los Santos pouvait s’afficher dans tous les 60fps que la décence attend (déjà la norme sur n’importe quelle CG un peu décente, on sait, merci) avec en prime une nouvelle gestion des ombres via ray-tracing, et il fallait bien ça pour rendre honneur à la ville de toutes les vanités.

C’est bien la grande force de ce cinquième épisode : des belles collines de Vinewood aux baraques délabrées des quartiers sud, toute l’étendue des disparités du vrai Los Angeles façonne l’environnement dans lequel évolueront ses trois protagonistes – et ces différences se font d’autant plus sentir avec le switch instantané, fast travel incarné qui ne dit pas son nom, permettant d’alterner entre la vie de WASP de Michael et celle bien plus white trash de Trevor. Rejeton des parc de maisons mobiles en périphérie des mégapoles, l’alopécique ivrogne représente à lui seul une certaine idée du mauvais goût déjà vieillotte en 2013. L’héritage d’un certain cynisme britannique, dira-t-on poliment, salement vieilli aujourd’hui – le genre d’accumulateur permanent de one-liners salaces que même Adult Swim ne diffuserait pas pendant ses heures creuses. 

Et puis il y a la (tristement) célèbre scène de torture – celle qui voit le joueur (toujours dans la peau de Trevor) exercer successivement électrocution, blessures physiques et supplice de l’eau pour le compte du FBI – pardon, du FIB – avec un recul presque inexistant. Le metacommentaire qui consisterait à nous mettre, participant actif dans la pression des boutons de manettes, face à des actes d’une cruauté presque intimiste peine à justifier ce qui s’apparente plutôt à une bonne dizaine de minutes de violence gratuite pour la violence gratuite ; une manière facile de stimuler la controverse au-delà des nouveaux standards de mauvais goût fixés par Kane & Lynch, entre autres. La postérité n’aura finalement retenu que la gratuité de sa violence plutot que le semblant d’intelligence de son propos ce qui, dans un monde où la dualité des choix de BioShock passe pour de la grande littérature, prouve bien la futilité de la chose.

You forget a thousand things every day…

C’est au final l’impression que laisse la trame narrative de GTA 5 une fois arrivée à sa conclusion : qu’importent les réflexions intelligentes que l’on pourrait avoir sur le media et le contexte qui nous entoure, développeurs comme joueurs devraient avoir le droit de se moquer de tout et tout le monde, dans un cynisme autocongratulé qui prend la forme d’un grand doigt d’honneur adressé autant aux figures d’autorité (la police, le star system, les élites financières) qu’aux 99% restant – et surtout les femmes, constamment représentées comme des harpies castratrices, surtout dans l’entourage de (la supposée voix de la raison) Franklin. Une idée de la satire qui contraste avec celle beaucoup plus pertinente qui habitait GTA 4 et son Amérique post-11/9, traversée par une sombre paranoïa étranglant violemment l’idée d’un american dream du 21e siècle. Cette poisse grise de la Côte Est sied superbement à Liberty City, et il aurait été bête de la voir appliquée sur la Côte Ouest ensoleillée de Los Santos.

Mais le choix de transposer sa suite à notre époque contemporaine a certainement enlevé une bonne part de recul à la moquerie – au même titre que sa direction artistique, finalement assez quelconque. Sa mise en scène reste pêchue, et offre de grands moments cinématiques, souvent superbement entremêlés avec des séquences de gameplay pur… Mais elle doit certainement beaucoup, beacuoup au Heat de Michael Mann, autre grand spectacle de braquage à la californienne. Si seulement Rockstar avait pu emprunter son intelligence, comme elle a su le faire avec La Horde Sauvage pour Red Dead Redemption

… Make sure this isn’t one of them

L’impact de GTA 5 se mesure au-delà de l’industrie en elle-même : dans sa périphérie proche et lointaine, touchant autant à nos habitudes en tant que média spécialisé qu’à celles des joueurs, occasionnels ou non. Sans rien inventer de nouveau – pas même les espaces de pataquès virtuel de son mode Online – GTA 5 a gardé sa main sur la gorge de tous les charts du monde occidental depuis une décennie. Mais on ne parle pas tant de ses chiffres de vente stratosphériques, chiffrés à 185 millions d’exemplaires, que de son rôle dans le zeitgeist du jeu vidéo de la décennie passée. Un meuble, presque, dont le modèle de monde ouvert parait aujourd’hui étrangement sobre dans son contenu – et qui se permet même de cacher une partie de ses activités pour le plaisir de la découverte, là où les mini-map des triple-A modernes en découragent plus d’un. 

Et du futur, qu’est ce qui nous attend ? Le jeu des prédictions est facile, mais les dernières déclarations de Take-Two laissent entendre un exercice fiscal 2025 historique en termes de chiffre d’affaires – et quelle autre raison de voir l’avenir au beau fixe qu’avec un nouvel open world de Rockstar ? Mars 2025 dernier carat, et on sera tous encastrés de nouveau dans la grande machine décennale. Celle de la maximisation à tout instant – d’abord celle des profits, avec un nouveau succès déjà garanti entretenu par un modèle économique encore à découvrir, puis celle de la communication relayée par les médias qui devront, bon gré mal gré, tirer le plus d’engagement d’un minimum d’information, Rockstar oblige, et enfin la hype des joueurs, occasionnels ou fanatiques, qui exprimeront leur joie et leur mécontentement dans des extrêmes toujours plus borderline. Et pas question de bouger des engrenages si bien huilés.

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