Après les feux, un plan pour toute la forêt

Un jour, d’un camion de pompiers, j’ai vu une ligne de feu progresser devant moi dans une forêt boréale, un spectacle effrayant. Tout à coup, une immense langue de feu a bondi au-dessus des arbres et s’est envolée pour retomber 200 mètres plus loin. La séquence, diffusée dans le reportage que je réalisais pour Radio-Canada, symbolise pour moi la puissance destructrice des incendies. Cependant, tout renaît. Une quinzaine d’années plus tard, passant à cet endroit, j’ai vu une forêt en pleine croissance, les épinettes noires dressées côte à côte.

L’année 2023 restera marquée par les incendies de forêt au Québec. En quelques mois, plus de territoire a flambé que jamais depuis un siècle. L’industrie effectue des coupes de récupération du bois avant que les insectes ne le rendent inutilisable, et on planifie une restauration centrée sur un effort important de reboisement.

Mais le fond du problème, ce sont les coups de butoir du changement climatique.

 

Selon Yann Boulanger, chercheur à Ressources naturelles Canada, « dans les prochaines années, les températures vont continuer d’augmenter et les conditions propices aux incendies vont devenir encore plus sévères et plus fréquentes ». Le pire est donc à venir, un plan d’action à long terme s’impose.

On va devoir s’occuper de toute la forêt boréale, pas seulement de celle qui est exploitée. Celle-ci forme une sorte de trapèze de 400 km de haut, sur des bases de 1200 km et 700 km. Au nord, au-dessus de la limite d’attribution commerciale des forêts, une bande forestière encore dense, et au sud, ainsi qu’à l’est vers la Gaspésie, un territoire de transition vers la forêt feuillue. Le trapèze, c’est ce que les forestiers appellent « la forêt productive », une notion qui ne concerne que ce qu’ils exploitent, la matière ligneuse. Plus large, l’écosystème forestier fournit de nombreux biens et services : régulation du climat, circulation de l’eau, stockage de carbone, paysages, villégiature, etc. Des milliers d’espèces de végétaux et d’animaux sont en interaction à plusieurs niveaux. Il faut viser une résilience écologique, soit, selon la définition toujours utilisée de l‘écologue canadien C. S. Holling, « la capacité, pour un écosystème, à absorber des perturbations et à se réorganiser en changeant ».

En 2013, pour rendre la forêt plus durable, le principe de l’aménagement écosystémique a été inscrit dans la loi, mais 10 ans plus tard, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Les récoltes forestières ont globalement diminué en volume et on protège désormais la régénération et les sols, mais il se pratique encore beaucoup de coupes quasi totales. Plusieurs massifs intacts ont été attribués à l’industrie, qui remonte toujours plus au nord.

Québec a ralenti le pas dans l’application de sa réforme et l’industrie n’a pratiquement pas innové en aménagement intensif, une solution envisagée en contrepartie d’un ralentissement du rythme des récoltes. Inaction gouvernementale et promesses oubliées : dans un document publié au début du mois de septembre, le forestier en chef du Québec, Louis Pelletier, se montre critique et estime que la gestion actuelle des forêts n’est plus soutenable.

La crise des feux de forêt a réveillé la crainte que de grands pans de forêts brûlées se transforment en forêts dites ouvertes ou en landes à éricacées. Un épouvantail que l’industrie agite, car elle ne pourra pas exploiter ces terres. Mais la régénération naturelle est puissante, les arbres dominants de la forêt boréale y sont bien adaptés et on doit miser sur elle en premier lieu.

Un élément sous-estimé, c’est que le Québec possède encore quelques grands massifs de forêts intactes, qui ont une valeur écologique considérable. Ces forêts primaires, souvent âgées, stockent plus de carbone que celles qui sont sous aménagement et leur diversité en espèces est bien supérieure. Qui plus est, les forêts âgées résistent mieux aux perturbations naturelles comme les incendies et les épidémies d’insectes. Elles représenteraient encore de 10 à 15 % de toute la forêt boréale. Certaines sont déjà incluses dans des aires protégées, d’autres ne le sont pas. Les sauvegarder est une priorité dans la crise du climat et de la biodiversité.

L’avenir des forêts du Québec ne dépend pas d’une campagne massive de reboisement, mais d’un plan à long terme qui viserait tout le méga-écosystème (biome) forestier à partir d’une approche écologique globale. Il faudra préciser cette approche avec rigueur. Certains affirmeront que c’est la même chose que l’aménagement écosystémique mais ce n’est pas vrai et à force d’être escamoté, ce concept a été vidé de son sens. Il est temps d’élargir le débat.

Dans un cadre renouvelé, on peut imaginer une augmentation importante des aires protégées et parfois des interventions en zone exploitée pour diversifier la composition en espèces de certains peuplements ou reboiser un peu là où c’est utile, mais le plus souvent, il conviendra de laisser faire la nature. Elle nous donnera des forêts résilientes en territoire exploité et en périphérie. Face aux bouleversements du climat et à l’érosion de la biodiversité, il faut laisser de plus en plus de forêts se régénérer naturellement et protéger les forêts primaires ou âgées qui nous restent. Ce sont nos alliées les plus sûres dans la crise actuelle.

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