Ariane 6 passe deux tests critiques, la dernière ligne droite approche

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L’ESA commence enfin à voir le bout du tunnel; il ne reste plus qu’un test majeur à réaliser avant le vol inaugural du futur fer de lance de l’aérospatiale européenne.

Les choses s’accélèrent du côté de Kourou. Hier, les troupes du CNES et d’ArianeGroup ont réalisé plusieurs tests cruciaux sur Ariane 6, le futur fer de lance de l’aérospatiale européenne que tout un continent attend avec une impatience croissante. Une bonne nouvelle, dans un contexte où les retards à répétition de l’engin pèsent de plus en plus lourd par manque d’alternative.

Le test conduit hier était un double exercice qui consistait d’abord à remplir les réservoirs d’ergols liquides des deux étages. Venait ensuite la seconde partie, la plus délicate : la mise à feu du moteur du moteur Vulcain 2.1, qui était particulièrement attendu au tournant. Il s’agissait en effet de la deuxième tentative en l’espace de quelques mois. Vulcain aurait déjà dû démarrer le 18 juillet dernier. Mais le protocole avait été interrompu à la dernière minute à cause de certaines mesures non satisfaisantes.

Mise à feu réussie pour les moteurs Vulcain 2.1 et Vinci

Cette fois, ce test s’est heureusement déroulé comme prévu. Selon le communiqué de l’ESA, le protocole de pré-lancement n’a révélé aucune anomalie. Les systèmes de remplissage, de mise à feu et de sécurité semblent tous avoir fonctionné comme prévu. Vulcain 2.1 a été démarré, puis a rugi pendant quatre secondes, soit la totalité de la durée prévue lors de ce test intégré.

En parallèle, une autre très bonne nouvelle est tombée du côté de Lampoldshausen, en Allemagne. C’est là que l’ESA a validé un second test crucial : il concernait cette fois Vinci, l’autre moteur qui propulsera l’étage supérieur de l’engin baptisé HFT3. Ce moteur a aussi eu droit à un test de mise à feu sous la supervision de l’agence spatiale allemande. Là encore, il s’agit d’un test qui aurait dû avoir lieu il y a plusieurs mois, mais qui a été reporté pour cause de problèmes techniques. Heureusement, d’après le CNES, tout semble s’être parfaitement déroulé.

Le test de mise à feu du moteur Vulcain 2.1 d'Ariane 6
© ESA/ArianeGroup/CNES

Un dernier test de mise à feu avant la dernière ligne droite

Il s’agit de réussites absolument cruciales, et pour cause : cela signifie que tous les organes vitaux de l’engin ont désormais été testés individuellement avec succès. Par conséquent, le lanceur est désormais à deux doigts d’entrer dans cette fameuse dernière ligne droite que l’ESA et ses futurs clients attendent avec impatience.

Il ne reste plus qu’une seule étape majeure avant de passer ce cap, à savoir un nouvel essai de mise à feu de l’étage principal. Ce dernier essai est prévu le 26 septembre, et il s’agira cette fois de longue durée (8 minutes). Contrairement au test d’hier donc l’objectif était de vérifier le bon déroulement du protocole de mise de mise à feu, il s’agira cette fois de tester la stabilité du moteur-fusée. Cela permettra de s’assurer qu’il sera apte à faire son travail le jour du vol inaugural, dont la date a été officiellement reportée à 2024 le mois dernier.

Si ce dernier test apporte satisfaction, il ne restera plus qu’à finaliser l’assemblage du premier modèle opérationnel d’Ariane 6. En effet, le véhicule actuellement dressé sur le pas de tir de Kourou n’a pas vocation à rallier l’espace ; même s’il est presque parfaitement identique au véhicule opérationnel, il s’agit uniquement d’un véhicule de test.

La principale différence, c’est que les SRB (solid rocket boosters) de l’engin testé en ce moment sont complètement inertes. Il s’agit de moteurs puissants qui utilisent un carburant sous forme solide, contrairement aux LRB (liquid rocket boosters) qui reposent sur la combustion d’ergols liquides.

Contrairement aux LRB, les SRB ne sont pas contrôlables ; il n’est pas possible d’en faire varier le débit ou d’arrêter un segment après sa mise à feu. En revanche, ils ont l’avantage de proposer une poussée importante sans devoir réfrigérer le carburant, contrairement aux moteurs à ergols liquides. Pour cette raison, ils sont d’une aide précieuse lors de la première phase de l’ascension, où l’objectif principal est de permettre au véhicule de s’arracher aux griffes de la gravité.

L’Europe trépigne

L’autre avantage, c’est que les SRB sont aussi relativement simples à concevoir et à construire par rapport aux LRB. Entre les deux, ce sont ces derniers qui demandent les efforts d’ingénierie les plus importants, et de très loin. Une bonne nouvelle pour le calendrier d’Ariane 6. Concrètement, cela signifie que les SRB du vol inaugural, qui sont en cours d’assemblage directement sur le site de Kourou, ne devront pas passer par une batterie de tests poussés et minutieux comme Vulcain 2.1.

Cette phase pourra donc être bouclée nettement plus vite — et heureusement, car le temps presse. Pour rappel, depuis qu’Ariane 5 a pris sa retraite et que les Soyouz russes ont été mis sur la touche depuis l’invasion de l’Ukraine, l’Europe reste entièrement privée de lanceurs lourds. C’est également compliqué du côté des lanceurs plus légers depuis l’accident de Vega-C, le 20 décembre dernier.

L’échec de Vega-C, un coup dur pour les ambitions de l’Europe

Cette situation pose d’énormes problèmes pour l’autonomie spatiale de l’Europe. Avec tout ce que cela implique en termes d’innovation, mais aussi aux niveaux économiques et stratégiques. A une époque où d’autres nations avancent à toute vitesse sur ce terrain, notamment aux États-Unis et en Chine, l’Europe se débat tant bien que mal dans ce vaste bourbier technologique. Et l’écart continue d’augmenter à chaque report. Autant dire qu’Ariane 6 est attendue comme le messie.

Certes, elle ne permettra pas de soigner tous les maux de l’aérospatiale européenne, notamment sur la question désormais critique de la réutilisation des lanceurs. Pour rappel, Ariane 6 est toujours un lanceur à usage unique… et par conséquent non conforme au nouveau paradigme qui s’impose dans le sillage de SpaceX. Une lacune que l’ESA devra combler le plus vite possible afin de rester compétitive dans l’aérospatiale d’aujourd’hui.

Mais en attendant l’ELA-4, le premier lanceur réutilisable européen qui permettra de réparer cette erreur stratégique, Ariane 6 permettra enfin à l’Europe de mettre fin à cette situation que le directeur général de l’ESA à lui-même qualifié de véritable crise des lanceurs, plusieurs mois après le départ à la retraite d’Ariane 5. Et il s’agira déjà d’un immense pas en avant. Nous vous donnons donc rendez-vous à la fin du mois pour le dernier test de mise à feu, puis en 2024 pour le vol inaugural tant attendu.

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