« Climbing Bitches », quand les femmes escaladent au-dessus du sexisme

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Même le nouveau sport à la mode n’échappe pas à certains comportements de « l’ancien monde ». Sophie, trentenaire habituée des salles d’escalade d’Ile-de-France, pourrait énumérer sans fin : « Des hommes, de l’ado au sexagénaire, qui te passent devant comme si tu n’existais pas alors que tu fais la queue depuis cinq minutes pour grimper. Ou des mecs qui n’attendent pas que j’aie fini de désescalader le bloc pour commencer à monter ou brosser une prise sur le même mur. Ou le conseil que je n’ai pas demandé alors que j’ai juste posé la main sur la prise de départ. Ou encore un conseil par un homme qui a un moins bon niveau que moi. »

Encore en 2024, il n’est pas aisé pour une femme de se sentir pleinement à l’aise dans une salle d’escalade. Déjà, en raison d’un sous-effectif. Selon une étude de Vertical life en 2021, 73,6 % des pratiquants en France sont des hommes, même si les salles indoor permettent une plus grande féminisation de ce sport – elles représentent un tiers des débutants en grimpe d’intérieur. Chaque année, elles sont de plus en plus nombreuses à se tester sur les voies et blocs – nom qu’on donne aux « pistes » d’escalade. Mais au-delà de ce premier problème, « certains hommes, évidemment une minorité, ont régulièrement des comportements qui peuvent être intimidants ou déplacés pour des femmes, surtout les débutantes », rajoute Nathalie, elle aussi bien bien accro à ce sport.

Montrer « la réalité d’une nana lambda » qui grimpe

Un constat de sexisme latent qui fut nouveau pour l’habituée du yoga, « où les sujets d’inclusivité et de féminisme n’ont pas besoin d’être débattus… L’escalade m’a montré qu’il y avait encore du chemin à faire pour nous les femmes. » Pas défaitiste pour autant, la grimpeuse, elle aussi la trentaine, a fondé la communauté Climbing Bitches (même les moins anglophones d’entre vous auront la traduction). Au départ une simple « blague entre filles, avec tout de même un vrai constat derrière, explique-t-elle. Sur les réseaux sociaux, on ne voyait que des mecs hypers performants et on se demandait si on était les seules à grimper dans les niveaux débutants et à galérer. » Charge donc, sur Instagram et autres TikTok, d’incarner « la réalité quand t’es une nana lambda ».

Des membres de Climbing Bitches
Des membres de Climbing Bitches - Climbing Bitches

Aujourd’hui, la page Instagram compte près de 8.000 followers et met dans ses vidéos principalement des femmes en avant, grimpant sur tout type de niveaux. L’occasion de rassurer les débutantes qui n’oserait pas franchir la porte d’une salle Arkose, Vertical’Art ou autres, mais aussi d’envoyer paître quelques clichés. Car derrière une réelle bienveillance, l’escalade reste un sport où certains stéréotypes, notamment « Aux femmes la technique et la grâce, aux hommes la performance et le bourrinage », ont la vie aussi dure que les avant-bras après une bonne séance.

Les voies morphos et les blocs physiques

« La plupart des hommes ont du mal à concevoir que les filles peuvent aussi bien faire un bloc physique qu’eux », estime Sophie, elle aussi membre des Climbing Bitches, « un groupe qui aide à s’imposer dans une salle bondée ». Si elle partage l’analyse, Nathalie salue une lente évolution : « De plus en plus de femmes se mettent à l’escalade, et cette vision change progressivement. » Une réelle avancée qui n’empêche pas le chemin – ou l’ascension, milieu de la grimpe oblige – d’être encore long. « Quand certains hommes voient une femme, petite, fine, se lancer sur un bloc très physique et difficile, il y a encore des regards surpris. »

Une remise en question progressive, jusque dans le type de blocs et de voies. Contrairement à l’escalade en nature, les prises sont, en salle intérieure, conçues, positionnées et espacées volontairement. Des choix qui laissent parfois des injustices entre grimpeurs, notamment les « voies morphologiques », surnoms donnés aux blocs favorisant les physiques les plus longs. Que le grimpeur qui n’a jamais maudit son voisin plus grand de 15 cm nous jette la première pierre.

L’émancipation et la prise de confiance

« L’escalade est un sport de mecs et nous les femmes, on s’adapte », pointe Nathalie : « 90 % des voies sont faites par des hommes. Y a toujours un moment où quand on est une femme petite, on se dit zut… ! On devra mettre 3 fois plus d’engagement qu’un homme grand sur certains blocs.. Après certaines salles sont particulièrement attentives à ce sujet, c’est génial ! On voit que ça change de plus en plus. »

Malgré ce fond de sexisme ambiant, l’escalade reste un super outil d’émancipation. « Ça m’a permis des moments de joie et de la confiance en moi, de la fierté », gratifie Sophie. « Se dépasser, se surprendre, avoir des réussites : mélange d’endorphines et d’adrénaline », rajoute Nathalie. Car dans ce qui ressemble encore un peu trop à un Man’s Man’s Man’s World, on peut définitivement être une femme et une bonne grimpeuse, conclut la fondatrice : « Hommes et femmes, on n’a pas la même physiologie, la même façon de penser, la même morphologie. Quand des hommes vont trouver un bloc facile, pour une femme il sera peut-être extrêmement difficile. Mais vice versa ! Nous avons aussi nos forces. »

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