Connor Bedard et la quête de la carte d’or

Un petit big bang avait lieu, mercredi, dans l’univers niché, mais en pleine expansion, de la carte de collection. La sortie mondiale de la série 2 d’Upper Deck a attiré les amateurs et les amatrices aux comptoirs des boutiques spécialisées un peu partout dans le monde en quête du Saint-Graal à déballer cette année : une carte unique du jeune prodige Connor Bedard déjà mise à prix pour 1 million de dollars américains.

Quelques minutes avant l’ouverture des portes, les conseillers du comptoir des sports de la boutique Imaginaire de Québec écoutent en cercle, genoux au sol, le discours de motivation d’un des leurs. « Ça va être une grosse game aujourd’hui. Préparez-vous ! » La journée s’annonce longue et la chaleur, rude : certains portent même des bracelets pour éponger la sueur à venir.

La cause de ce branle-bas de combat au sein des troupes : Upper Deck lançait mondialement, ce mercredi, sa série 2 avec, à l’intérieur, les fameuses « Young Guns », que la convention populaire a fini par considérer, depuis leur lancement en 1990-1991, comme les cartes recrues « officielles » des jeunes hockeyeurs.

Un engouement inédit entoure cette année le lancement. En cause : le jeune prodige des Blackhawks de Chicago et premier choix au dernier repêchage, Connor Bedard, dont les performances impressionnent déjà la planète hockey et sa plus illustre légende, Wayne Gretzky, qui ne tarit pas d’éloges à son endroit.

« Il peut être encore meilleur que nous pensions », affirmait le 99 à propos du 98 en début de saison. Une opinion que semble partager le monde de la collection : ce mercredi, la carte Young Guns Outburst Gold de Bedard, tirée à un seul exemplaire par Upper Deck, fracassait déjà tous les records. Une boutique américaine, Dave & Adam’s Card World, offre même une prime de 1 million de dollars américains pour mettre la main dessus — et diffusait en direct sur Internet, mercredi, sa « traque » pour la carte la plus convoitée du jour.

« Dans le hockey, c’est du jamais vu pour une carte recrue », souligne Yannick Godbout, conseiller de la boutique Imaginaire, qui cultive sa passion des cartes depuis une trentaine d’années. Son patron, Benoît Doyon, opine du chef à ses côtés.

« Nous avions offert 10 000 $ pour avoir une des dix Young Guns High Gloss d’Alexis Lafrenière, se rappelle-t-il à propos de l’espoir québécois repêché au premier rang par les Rangers de New York en 2020. Il n’y avait pas de carte unique de Lafrenière à l’époque, mais ç’aurait valu quoi ? 100 000 $ ? »

« Réserve-moi 40 caisses »

Si Connor Bedard représente déjà le Saint-Graal des collectionneurs avant même d’avoir terminé une saison complète, c’est qu’il s’agit d’un de ces athlètes au potentiel rare, capable d’imprimer une marque durable sur leur sport.

« C’est un joueur générationnel, explique Yannick Godbout. Tu as eu [Sidney] Crosby, [Connor] McDavid, [Auston] Matthews, Lafrenière et maintenant, tu as Bedard. Lui, par contre, c’est exceptionnel, l’engouement. »

Dès l’ouverture de la boutique, les collectionneurs et les collectionneuses prennent d’assaut le comptoir dans l’espoir de mettre la main sur une boîte — ou plusieurs — de la série si convoitée.

« Je vais vous en prendre deux », lançait Jeanine Lemieux, déléguée par son fils avec des instructions strictes. « Attention : il me faut deux boîtes qui viennent de deux caisses différentes. »

Plus loin, un père accompagne son fils William, grand amateur de hockey, pour acheter deux boîtes. « C’est un peu une récompense pour son bon bulletin, explique le paternel. Nous avons l’habitude de venir acheter ensemble des paquets deux ou trois fois par année. Je prends bien soin de lui expliquer que c’est de la chance pour être certain qu’il comprenne que c’est d’abord et avant tout d’une loterie. »

La passion de la collection demande, il est vrai, un certain budget. La boîte de 12 paquets de la série 2 se détaille à 330 $ et plusieurs clients, mercredi, repartaient avec plus d’un exemplaire sous le bras. Certains repartaient avec une caisse qui renferme 12 boîtes — et qui s’envole à 4000 $ l’unité.

« J’ai eu des gens qui m’ont demandé de leur réserver 40 caisses », explique Yannick Godbout — une commande qui vaut à elle seule 160 000 $. « Mais nous limitons à une caisse par client pour donner la chance à tout le monde d’en avoir. »

Malgré le contexte économique ardu, le téléphone d’Imaginaire a sonné plus tôt et plus souvent qu’à l’habitude pour la venue des fameuses cartes recrues de Connor Bedard. « J’ai des gens qui n’ont rien acheté depuis cinq mois pour économiser en prévision d’aujourd’hui », explique le vétéran conseiller.

Une telle demande fait prospérer les affaires : le lancement de la carte recrue de Connor Bedard vaut à lui seul la garantie d’une bonne année pour les commerces spécialisés. « Si une boutique de cartes de sport ferme cette année, lance Benoît Doyon, c’est qu’elle l’a fait exprès. Un grand chelem comme celui-là peut éponger toutes les collections que nous avons achetées et qui ne se sont pas vendues. »

Révolte contre l’envolée des prix

La rareté créée par Upper Deck pour attiser la convoitise— et faire grimper le prix de ses produits — ne s’attire pas que des éloges. Plusieurs collectionneurs se révoltent en ligne contre une cupidité qui, accusent-ils, détruit leur passe-temps en le rendant de plus en plus hors de portée de leur bourse.

« Fini pour moi, écrivait un internaute, mercredi, sous une publication de Dave & Adam’s. Merci Upper Deck de détrousser le collectionneur de cartes régulier. »

Yannick Godbout, aussi coanimateur du balado Show de cartes, remet ces doléances en perspective. « Les gens oublient que tout a augmenté : juste dans la dernière année, le prix de l’emballage des paquets a bondi de 54 %. Le prix du carton a aussi augmenté et ce n’est pas gratis, d’utiliser l’image d’un joueur de la Ligue nationale de hockey. D’une année à l’autre, les redevances dues à la LNH coûtent de plus en plus cher. »

Dire qu’il y a 45 ans, au moment où Wayne Gretzky donnait ses premiers coups de patin dans la LNH dans l’uniforme des Oilers d’Edmonton, ses cartes recrues, loin d’être uniques, s’envolaient pour une poignée de monnaie. Ironie du sort : un exemplaire en parfaite condition a trouvé preneur, en 2021, pour la somme astronomique de 3,75 millions de dollars américains, soit 5 millions de dollars canadiens.

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