Des élèves de Repentigny voient « Ru » au cinéma avec Kim Thúy

C’était comme un cadeau de Noël avant Noël. Une cinquantaine d’élèves du primaire, dont le tiers étaient de nouveaux arrivants en classe de francisation, ont eu la chance de voir le film Ru au cinéma en compagnie de l’autrice Kim Thúy et du réalisateur Charles-Olivier Michaud.

L’histoire de cette jeune Vietnamienne qui débarque au Québec avec sa famille, après avoir fui son pays qui a été déchiré par la guerre, a captivé les élèves de l’école Soleil-de-l’Aube, à Repentigny. Les rires et les pleurs ont retenti dans la salle du cinéma Triomphe.

Certains enfants ont reconnu leur propre parcours en voyant sur grand écran l’héroïne, ses deux frères et leurs parents arriver à Granby en pleine tempête de neige — après un périlleux périple dans un Vietnam à feu et à sang, dans la cale d’un navire de fortune et dans un camp de réfugiés en Malaisie.

Après le visionnement, Julien Rosa-Francoeur, un des enseignants ayant emmené ses élèves au cinéma, ne tarissait pas d’éloges envers Kim Thúy et le réalisateur Charles-Olivier Michaud. « Votre film a permis à ces enfants venus d’ailleurs de se voir à l’écran et de découvrir le Québec. Comme si on leur disait : “Vous êtes ici chez vous.” »

L’enseignant n’en revenait pas que ses élèves aient pu rencontrer les artisans de Ru. Il a écrit au distributeur du film dans l’espoir qu’un membre de l’équipe — n’importe qui — vienne à la projection avec ses élèves. « C’était une bouteille à la mer », raconte-t-il.

Contre toute attente, la coscénariste et le réalisateur ont répondu présents, en cette matinée grise de décembre. Ils ont été généreux avec les élèves. Ils ont répondu à toutes les questions pendant près d’une heure. Kim Thúy a fait des dédicaces de son roman, patiemment, entourée d’une nuée de lecteurs de 10 et 11 ans, comme une star du salon du livre. 

« Kim a vécu la même chose qu’eux. Ils voient que leurs rêves sont possibles », dit l’enseignante Geneviève Baril, qui était enchantée pour ses élèves en francisation.

Le petit Maksym, 10 ans, arrivé d’Ukraine il y a un an, a constaté qu’il a trois points en commun avec Kim Thúy : il est marqué par le vacarme des bombes, il a dû quitter son pays en catastrophe et il a appris rapidement le français en débarquant au Québec.

« Le film m’a rappelé les bruits en Ukraine : boum ! bang ! » a raconté Maksym au Devoir, après le visionnement. Il a partagé sa recette pour apprendre la langue de son pays d’adoption. « Il faut faire des efforts. Si tu veux parler français, tu dois essayer. »

Course à obstacles

Le film jette une lumière crue sur l’épreuve du déracinement. Kim Thúy et sa famille abandonnent une vie confortable à Saïgon, au sud du Vietnam, lorsque les soldats du nord s’emparent littéralement de leur maison. En état de choc post-traumatique, la jeune héroïne, incarnée avec brio par Chloé Djandji, devient muette durant ses premiers mois au Québec. Elle observe, ébahie, la vie dans ces vastes arpents de neige, comme une spectatrice de son existence.

« J’étais comme Chloé. Je me suis reconnue dans ces moments de silence. J’étais tellement gênée que je perdais connaissance », a raconté Kim Thúy aux jeunes dans la salle.

Elle a pleuré, cette semaine, en revoyant les images de son enfance à l’écran. La complicité et les rires avec sa cousine Sao Mai. La fuite à travers les bombes. Le voyage de quatre jours et trois nuits dans la cale d’un bateau parmi 218 « boat people » entassés dans un espace minuscule, sans manger et presque sans boire. Le pot à pipi et à vomi qui circulait entre les passagers. Le séjour de quatre mois et demi dans un camp de réfugiés, les odeurs pestilentielles que l’instinct de survie finit par ignorer, le choc de plonger dans une culture étrangère…

« Le film permet de prendre conscience de tout ce qui s’est passé. On ne le voit pas au moment où on le vit », a raconté Kim Thúy à son auditoire attentif.

Identités multiples

 

On assiste à l’écran à la genèse de cette femme aujourd’hui lumineuse, qui répand une énergie contagieuse. On devine que ses parents ont pu l’inspirer. « La vie est un combat où la tristesse entraîne la défaite », dit sa mère à la fillette qu’elle était.

Quand un jeune demande à Kim Thúy si elle se sent Vietnamienne ou Québécoise, la réponse ne tarde pas : « Je suis à 100 % dans les deux identités. Je n’ai pas de préférence. Et l’une n’exclut pas l’autre. C’est comme la nourriture, il est possible d’aimer à la fois le chocolat et les hamburgers. »

Plus de 44 ans après son arrivée ici, Kim Thúy a confié aux jeunes qu’elle « apprend encore le français ». Elle a vite maîtrisé les rudiments de sa nouvelle langue, mais ce code sophistiqué se laisse découvrir avec les années et permet d’exprimer des émotions avec une précision chirurgicale. 

« Tout le monde connaît la joie et le plaisir, mais la langue française permet d’aller plus loin : il y a aussi l’euphorie, l’enthousiasme, l’émerveillement, la fascination… »

Dans le « beigne de Montréal »

Ils étaient « enthousiastes », « émerveillés » et « fascinés », ces jeunes, durant cette séance de cinéma aux allures de classe de maître. Ils voulaient tout savoir sur la fabrication d’un film, celui-ci en particulier. 

On a appris que Ru a été entièrement tourné au Québec, plus précisément dans un rayon d’une quarantaine de kilomètres autour de Montréal. Dans le jargon de l’industrie cinématographique, on appelle ce territoire le « beigne de Montréal », dont le trou est la station de métro Berri-UQAM. Les règles syndicales permettent de limiter les coûts de production dans cette zone, a expliqué le réalisateur Charles-Olivier Michaud.

Un « pit » de sable dans la région de Lanaudière est devenu un camp de réfugiés en Malaisie. La scène des exilés dans le bateau a été tournée dans un entrepôt à Lachine. Un centre communautaire ukrainien de Montréal a fait office de sous-sol d’église à Granby. La demeure cossue de la famille à Saïgon était en fait au centre-ville de Montréal. La scène des naufragés en mer de Chine méridionale a été tournée dans une carrière abandonnée à Kahnawake.

« C’est dur de faire des films. C’est long. Et ça prend beaucoup d’argent », a résumé le réalisateur. Les élèves de l’école Soleil-de-l’Aube et leurs enseignants diraient sans doute que  ces efforts en valent le coup. Et le coût.

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