Le Canada n’augmente pas ses dépenses militaires, et devra un jour en payer le prix

L’annonce de la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny a jeté une ombre sur l’ouverture, vendredi, de la conférence de Munich sur la sécurité. Si, après deux ans de guerre en Ukraine, l’atmosphère était déjà passablement lourde à cette rencontre annuelle des chefs de file et experts de la défense, la révélation de la disparition du prisonnier politique et principal adversaire de Vladimir Poutine est venue rappeler à tous les dignitaires présents que la menace que pose le président russe à l’ordre international n’est pas qu’hypothétique. Tout comme la révélation plus tôt cette semaine des inquiétudes des alliés concernant le développement potentiel par la Russie d’une arme capable de détruire des satellites dans l’espace.

En dépit des quelque 886 milliards de dollars américains que les États-Unis prévoient dépenser cette année en défense, les pays européens ne sont pas pour autant rassurés sur la probabilité que leur principal allié vienne à leur rescousse, le cas échéant. La vice-présidente Kamala Harris a été dépêchée par la Maison-Blanche à Munich pour tenter d’apaiser les esprits. Une tâche difficile. La majorité républicaine à la Chambre des représentants rechigne toujours à accorder une aide additionnelle à l’Ukraine. Et Donald Trump, qui devance le patron de Mme Harris dans la plupart des sondages en vue de l’élection présidentielle de novembre prochain, promet de permettre à M. Poutine de « faire ce qu’il veut » avec les pays membres de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) qui n’octroient pas l’équivalent de 2 % de leur PIB à la défense.

Avant de se rendre à Munich, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avait essayé de rallier les troupes en annonçant, lors d’une conférence de presse jeudi à Bruxelles, que 18 des 31 pays membres de l’alliance devraient atteindre la cible de 2 % cette année. Il s’agit d’un bond phénoménal par rapport à 2014 — année où seuls 3 pays avaient atteint cet objectif — grâce à la hausse fulgurante des dépenses en Europe depuis l’invasion de l’Ukraine. « Nous sommes réellement en bonne voie, s’est félicité M. Stoltenberg. Les alliés européens dépensent davantage. Cependant, certains pays membres ont encore du chemin à parcourir. »

Hélas ! Le Canada fait toujours partie du club des délinquants de l’OTAN. Avec environ 1,33 % de son PIB consacré à la défense, le Canada se situe entre l’Italie et l’Espagne parmi les pays membres les plus chiches en matière de dépenses militaires. En 2022, le Bureau du directeur parlementaire du budget prévoyait que cette proportion augmenterait à 1,59 % du PIB en 2026-2027 en se fiant aux prévisions (pas toujours fiables) du ministère de la Défense nationale. Pour atteindre la cible de 2 %, il faudrait qu’Ottawa y consacre entre 13 et 18 milliards de dollars de plus par année, sur une base récurrente, pendant cinq ans.

Commentant la mort de M. Navalny, le premier ministre, Justin Trudeau, a eu beau qualifier de « monstre » M. Poutine, son gouvernement ne cesse de frustrer ses alliés en s’esquivant dès qu’ils exigent un effort militaire plus grand de la part du Canada. Selon le Washington Post, le premier ministre aurait même confié à des autorités de l’OTAN que le Canada n’atteindrait « jamais » la cible de 2 %. Selon un document du Pentagone obtenu en 2023 par le quotidien américain, « les lacunes généralisées en matière de défense entravent les capacités canadiennes […] tout en mettant à rude épreuve les relations avec les partenaires et les contributions à l’alliance ».

Ne comptez pas sur les conservateurs pour changer ces impressions. Selon le chef de l’opposition officielle, Pierre Poilievre, le Canada est devenu « faible, pauvre et sans défense » sous le règne de M. Trudeau. « Son plan pour la défense nationale, c’est de dépendre de Joe Biden ou de Donald Trump pour protéger le Canada », a-t-il martelé cette semaine.

Or, le chef conservateur ne s’engage pas non plus à faire en sorte que le Canada atteigne le seuil de 2 % du PIB en matière de dépenses militaires s’il devient premier ministre. Il promet tout au plus de s’en approcher en éliminant des sommes « inutiles » actuellement consacrées à l’aide internationale et en réinvestissant cet argent dans les Forces armées canadiennes (FAC). Le Canada dépense à peine 0,3 % de son PIB en aide internationale et toute baisse constituerait une abdication de ses responsabilités envers les moins nantis de ce monde. Ce n’est d’ailleurs pas en éliminant de façon permanente la contribution canadienne de 25 millions de dollars par année à l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), comme promet de le faire M. Poilievre, que ce dernier réussira à renflouer les FAC.

L’invasion de l’Ukraine aura servi à rapprocher la plupart des pays européens. La Finlande est devenue membre de l’OTAN ; la Suède suivra bientôt. Si le sentiment d’insécurité qu’a provoqué l’agression russe explique l’empressement avec lequel ces pays, tout comme l’Allemagne, la Pologne et les pays baltes, augmentent leurs dépenses militaires, les politiciens canadiens, eux, préfèrent rester dans le déni. D’une façon ou d’une autre, nous en paierons un jour le prix.

À voir en vidéo

You May Also Like

More From Author