Le château de la baie des Chaleurs sauvé par des Français

L’un est Normand, l’autre, Breton. Ils forment à eux deux le nouveau duo de châtelains de la baie des Chaleurs. Non seulement ont-ils sauvé par leur achat un objet rare dans le patrimoine québécois, mais ils rêvent aussi d’en faire profiter toute la région. Visite des propriétaires.

Des Européens à la rescousse du patrimoine québécois ? Pourquoi pas ? « Ça fait 25 ans que je suis au Québec », précise Dany Torchy, cinquantenaire, verbomoteur et heureux comme un roi dans son château plus grand que nature.

Il circule parmi les trois bâtiments qui forment ensemble le château Bahia : il y a le bâtiment principal, puis l’« auberge », et un troisième bâtiment est encore en construction. Tout est bâti en bois. « Les tourelles ne sont pas de la décoration. Elles servent toutes à quelque chose », dit le châtelain. En plein hiver, « on chauffe au bois magistralement ».

Du haut de la tour d’observation, il pointe les hameaux autour de la baie des Chaleurs. « On a été conquis par la région », lâche-t-il, avant de rappeler que c’est juste en face de ce château que s’est déroulée la bataille de la Ristigouche, dernier soubresaut de l’Amérique française au XVIIIe siècle. « On est à Pointe-à-la-Garde, ici ! »

L’habitation compte en tout dix chambres, dont six ouvertes durant l’hiver. Chacune a un style différent. Une quarantaine de personnes peuvent y demeurer l’été. À l’intérieur, le carrelage noir et blanc et la décoration vaguement médiévale évoquent un conte de fées. Chaque recoin du dédale labyrinthique en appelle un autre. Et comme pour tout bon château qui se respecte, ses murs cachent des passages secrets dont nous tairons la teneur.

Le rêve d’un Acadien

La paternité de ce lieu enchanteur revient à Jean Roussy et à son père. Par un heureux soir montréalais de 1976 où tout semblait possible, la décision a foudroyé ce natif de la région de la baie des Chaleurs, racontait-il de son vivant. Ça lui prenait un château.

Pendant des décennies, avec son père, une dizaine de bénévoles et beaucoup d’imagination, donc, il utilise le bois du terrain  pour monter la curieuse structure. Sans plan véritable, il ajoute une section ici, puis une tourelle là. Une fois le bâtiment principal terminé suit l’idée d’une auberge. Puis vint le projet  d’une troisième dépendance. Le rêve ne finit jamais vraiment.

Au cours de la construction, Jean Roussy se passionne pour les châteaux du monde entier, au point d’en visiter plusieurs en Europe. Certains en Russie lui inspireront notamment la décoration des toitures. Il sollicite auprès de ses homologues en France la permission d’orner les murs de son  château de photos des plus beaux châteaux de France. 

Fatigué par l’âge, il se résigne à vendre le domaine quelque temps avant sa mort, en 2020, provoquant l’arrêt des travaux. L’été suivant apparaissent dans le portrait ceux qui se présentent comme les « finisseurs » du château.

Un coup de tête devenu coup de coeur

 

C’est dans sa demeure posée sur la non moins pittoresque île d’Orléans que Dany Torchy a vu par hasard l’annonce de la vente du château au printemps 2021. « À midi, je le vois. À midi deux, je pars pour la Gaspésie », lance-t-il. Convaincu du potentiel de l’endroit, il appelle son ami Michaël Retailleau. Lui coule alors une vie paisible dans une fermette de Terrebonne. Sa réponse est franche. « Tu penses que je n’ai pas assez de problèmes actuellement ? »

Après une visite et quelques négociations avec leur famille respective, ils finissent par y déménager à plein temps.

Le premier défi : remettre le tout aux normes et à leur goût. Ils isolent l’auberge, posent de nouvelles fenêtres, une nouvelle toiture. Le troisième bâtiment est sécurisé. On nivelle la cour intérieure pour pouvoir y tenir des événements. Un contraste par rapport à avant, alors que le château était ouvert au public seulement quatre mois par année.

Les chantiers sont infinis sous le regard neuf des châtelains. On projette de construire une deuxième cuisine au sous-sol de l’auberge. À l’extérieur, de vastes serres restent à bâtir dans d’anciens bassins de pisciculture abandonnés du voisinage. « Tu ne vois pas de fin. Après, quand tout va bien, ça va », plaisante le Breton du duo, Michaël Retailleau. Avec tous les visiteurs et amis qui s’y installent à court ou à long terme, « on gère un village plutôt qu’une maison ».

Lui, c’est la force tranquille du duo. Il met aujourd’hui ses deux mains et son passé de rembourreur au service du château. Une réplique de voiture rétro, sa création, orne d’ailleurs l’entrée.

Un château « du peuple »

La meilleure façon de conserver ce patrimoine bâti, c’est de l’offrir aux gens du coin au plus bas prix possible, affirme Dany Torchy tout au long de la visite. « On veut continuer en l’offrant à tout le monde, à travers l’art, le mieux-être et la culture. Et ça, ça n’a pas de prix. »

Impliquer les gens  constitue peut-être le défi le plus important du châtelain. « [Jean Roussy] a fait plus connaître le château vers l’Europe que le Québec. Ça a été surprenant pour nous », souligne-t-il.

Depuis l’achat du château, les deux comparses et leur entourage multiplient donc les festivals, les soirées musicales, les occasions de rencontres. L’enregistrement d’émissions de radio est en voie de réalisation. « On veut en faire le château du peuple. »

Enfin, le troisième bâtiment, à moitié terminé, concentre toute l’utopie de ces deux rêveurs. Un « espace multigénérationnel » pourrait y voir le jour. À moins que cela ne devienne une demeure pour les artistes ? Ou encore pour de nouveaux arrivants ? Les possibilités s’enchaînent dans la tête de Dany Torchy, qui fait d’ailleurs appel à des donateurs ou à des partenaires afin de terminer le travail. « On veut en faire un chef-d’oeuvre. »

En vivant dans un tel château au fond de la Gaspésie, le duo démontre qu’il n’entre dans aucune case, comme sa nouvelle demeure.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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