Le LIGO a franchi la « limite quantique », et les astronomes jubilent

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Une nouvelle technique de compression de la lumière a permis au LIGO de s’affranchir du bruit quantique, pour étudier des ondes gravitationnelles avec une précision phénoménale.

Le LIGO, un énorme interféromètre laser basé aux États-Unis, fait partie des quelques instruments scientifiques qui pourraient complètement changer notre compréhension des lois de la physique. Sa mission, c’est d’étudier les ondes gravitationnelles, ces fluctuations de l’espace-temps qui sont au cœur de la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein.

En d’autres termes, ce n’est pas un télescope comme les autres ; au lieu d’exploiter des ondes électromagnétiques, comme la lumière visible, les rayons X ou l’infrarouge, il s’intéresse à la façon dont le cosmos se contorsionne sous l’influence des objets extrêmement massifs.

Lorsque deux objets massifs entrent en collision, ils produisent des perturbations de l’espace temps, un peu comme un caillou qui tombe dans l’eau. On parle alors d’ondes gravitationnelles. © R. Hurt/Caltech-JPL

Aujourd’hui, il n’y a que trois autres observatoires qui peuvent réaliser ce genre d’observations (le VIRGO en Italie, le Kagra au Japon, et le GEO600 en Allemagne). Mais le LIGO est le plus performant des trois. Surtout depuis l’introduction récente d’une technique de pointe qui permettra aux chercheurs d’aller encore plus loin dans l’étude des phénomènes les plus extrêmes de notre univers.

En effet, dans un communiqué, les astronomes ont annoncé en grande pompe que le l’observatoire venait de franchir ce qu’ils appellent la « limite quantique ». Voilà pourquoi c’est important, et ce que ce progrès va changer pour les chercheurs.

Comment fonctionne le LIGO ?

Pour comprendre cette nouveauté, il faut d’abord revenir au mode de fonctionnement du LIGO. Tout commence avec un gigantesque laser, qui est ensuite scindé en deux faisceaux parfaitement perpendiculaires. Ils voyagent tous les deux dans des tubes à vide de 4 kilomètres pour atteindre un miroir, avant de revenir au système optique qui les a séparés pour se réunir.

Un tube à vide du LIGO
© MJ Doherty

S’ils couvrent une distance aussi importante, c’est pour leur donner l’occasion d’être traversés par des ondes gravitationnelles. Lorsque c’est le cas, les propriétés du faisceau changent très légèrement. Dans ces conditions, la réunion des deux faisceaux produit des interférences que des capteurs très performants peuvent détecter et mesurer.

En analysant ces interférences à l’aide d’algorithmes complexes, les chercheurs peuvent ainsi en déduire de nombreuses informations sur les propriétés des ondes gravitationnelles qui ont traversé les lasers. Cette technique s’appelle l’interférométrie. Par extension, cela permet d’étudier indirectement les événements cosmiques extrêmes qui ont ainsi courbé l’espace-temps, comme des fusions de trous noirs ou des collisions d’étoiles à neutrons.

La qualité et la précision des observations dépendent donc entièrement de la qualité des faisceaux laser et de la précision des capteurs. Le LIGO est déjà exceptionnellement performant à ce niveau. Sa sensibilité est telle qu’il est capable d’enregistrer des interférences plusieurs milliers de milliards de fois plus petites qu’un cheveu. Cela a permis aux astronomes de détecter des événements remarquables à plusieurs millions de milliards d’années-lumière.

C’est quoi, la « limite quantique » ?

Mais les chercheurs veulent aller encore plus loin. Leur objectif, c’est de pouvoir étudier toutes les nuances de ces ondes gravitationnelles afin de tester les limites de la relativité d’Einstein. Or, jusqu’à présent, le LIGO s’est heurté à un mur. Lorsqu’on s’aventure dans le domaine subatomique, là où le comportement de la matière est décrit par les lois de la physique quantique, l’interféromètre n’est plus capable de faire la différence entre les vraies interférences et le bruit de fond généré par les particules. Les chercheurs parlent de « limite quantique ».

« C’est comme si vous renversiez une boîte de billes en plastique », explique Lee McCuller, l’un des responsables du LIGO. « Les billes rebondissent et s’entrechoquent de façon aléatoire, ce qui produit un bruit de fond. Les photons exploités par le LIGO sont comme ces billes, et ils frappent les capteurs avec un timing irrégulier — d’où le bruit ».

Une solution qui manquait de flexibilité

C’est là qu’intervient la nouvelle technique employée par les astronomes. Depuis 2019, les chercheurs ont commencé à exploiter ce qu’ils appellent la compression quantique, ou compression fréquence-dépendante ( FDS, pour frequency-dependant squeezing). C’est une technique qui permet d’amplifier les signaux intéressants, afin qu’ils se démarquent par rapport au bruit de fond.

Pour y parvenir, les chercheurs font passer le rayon par des cristaux qui sont capables de placer les photons isolés en intrication quantique. Ce terme désigne un état où deux particules sont interconnectées au niveau quantique, si bien que la moindre variation sur l’un des deux membres du couple se répercute immédiatement sur l’autre, indépendamment de la distance qui les sépare. Pour les chercheurs, cela revient à remettre de l’ordre dans le chaos des particules.

Le système de compression du LIGO
Le système de compression du LIGO est un appareillage extrêmement sophistiqué. © Wenxuan Jia/MIT

« Les photons arrivent de manière plus régulière, comme s’ils se tenaient la main au lieu de voyager chacun de leur côté », explique McCuller. « La nature quantique de la lumière crée le problème, mais la physique quantique nous donne aussi la solution pour le surmonter ».

Le souci, c’est que jusqu’à présent, cette approche manquait cruellement de flexibilité. Certaines limitations techniques forçaient les astronomes à faire des choix tranchés ; ils ne pouvaient se concentrer que sur une fréquence précise, ce qui implique de sacrifier d’autres données potentiellement précieuses.

La barrière quantique enfin franchie

Mais cette limite si handicapante vient enfin de sauter. Après avoir passé des années de travail acharné à expérimenter avec de nouveaux algorithmes, ils ont enfin trouvé une solution : compresser la lumière dans différentes directions en fonction de la fréquence.

En d’autres termes, les chercheurs peuvent désormais supprimer le bruit dans plusieurs gammes fréquences simultanément, au lieu d’une seule. Ils ont donc surmonté les obstacles qui les empêchaient de réaliser des observations satisfaisantes à l’échelle des particules subatomiques. Pour reprendre leur expression, ils ont enfin « franchi la barrière quantique ».

« Nous savions depuis quelque temps comment écrire les équations pour faire fonctionner cela, mais nous ne savions pas vraiment comment les mettre en pratique », explique Rana Adhikair, physicien à Caltech, dans un communiqué. « Avant, nous devons choisir où nous voulions que le LIGO soit le plus précis. Maintenant, nous pouvons avoir le beurre et l’argent du beurre », se réjouit-il.

Une excellente nouvelle pour toute l’astrophysique

Cette avancée va permettre d’étudier des phénomènes dont le signal était bien caché dans ce fameux bruit de fond, et donc imperceptible. Le LIGO pourra percevoir des événements à une distance encore plus importante qu’avant.

Les chercheurs pourront donc collecter beaucoup, beaucoup plus de données sur les collisions de trous noirs, d’étoiles à neutrons, et ainsi de suite. Et ces observations vont sans doute révéler des secrets inaccessibles aux télescopes traditionnels. Avec des retombées dans de nombreuses branches de l’astrophysique et de la cosmologie.

Maintenant que la technique a été validée sur le LIGO, elle va être étendue au VIRGO, son jumeau italien. Et il ne s’agit que d’un début. Les troupes du LIGO sont convaincues de pouvoir faire encore mieux en termes de précision, afin de s’aventurer encore plus loin dans le domaine quantique. Il ne reste donc plus qu’à attendre que les chercheurs exploitent les nouvelles capacités de ce bijou de technologie pour écrire un nouveau chapitre de la physique fondamentale.

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