Les décès de Maureen Breau et d’Isaac Brouillard Lessard, c’est l’affaire de tout le monde

Quatre semaines d’enquête publique bouleversantes auront permis de mettre au jour les moindres détails de l’engrenage fatal qui a conduit aux décès de l’agente Maureen Breau et d’Isaac Brouillard Lessard lors d’une intervention policière qui a tourné au désastre, à Louiseville, en mars 2023. Un engrenage inexorable, mais pas inévitable pour autant : voilà le constat choquant qu’il faut tirer de cet exercice crève-coeur.

Une enquête publique ne cherche pas à distribuer des blâmes, mais à identifier les failles qui ont mené à l’irréparable. La coroner Géhane Kamel n’a jamais perdu de vue cet impératif. Mais devant autant de failles exposées au grand jour, elle a dû travailler fort pour que le public et les parties appelées à témoigner ne tombent pas dans ce piège trop humain.

Daniel Sanscartier, le conjoint de Maureen Breau, a bien résumé le sentiment général : « De toute évidence, la grande conclusion de cette enquête tient sur deux lignes : tout le monde devait se parler, mais ne se parlait pas vraiment. Et tout le monde devait agir, mais, en réalité, personne n’agissait vraiment. »

De nombreux drapeaux rouges avaient pourtant été levés par la famille de l’homme de 35 ans, qui souffrait d’un trouble schizo-affectif. Des soignants, des policiers, des gens de son milieu de vie comme du milieu juridique avaient aussi multiplié les avertissements. Tous ont prêché dans le désert, faute de se faire entendre ou, plus platement, de se faire comprendre là où ça compte, quand ça compte.

La somme d’informations cruciales tombées dans la proverbiale craque est effarante. Cela a joué un rôle crucial dans la mécanique létale qui s’est mise en branle dans les jours précédant l’opération au cours de laquelle Isaac Brouillard Lessard a attaqué un policier avant de sauter mortellement au cou de Maureen Breau, pour ensuite être abattu par deux policiers. En décembre dernier, un rapport d’enquête de la CNESST dont Le Devoir a obtenu copie avait souligné le manque de formation des multiples patrouilleurs-gendarmes de la Sûreté du Québec.

La question de la formation est revenue maintes fois devant la coroner Kamel, à qui l’agente Frédérique Poitras, présente lors de l’intervention, a posé une question difficile : « Pourquoi on n’aurait pas plus de pouvoir ? » Sa question cristallise un paradoxe en intervention en santé mentale : comment assurer la sécurité des autres quand on ne se sent pas soi-même en sécurité ? La question est bonne pour les policiers, mais elle l’est aussi pour tous ceux qui interviennent auprès de cette clientèle complexe. Il va falloir y répondre une fois pour toutes.

L’agent Constant Perreault, aussi sur place ce soir-là, a soulevé une autre question ardue à propos des communications avec le 811 et les milieux de santé : quoi faire quand on se fait revirer de bord au nom du secret professionnel ? C’est là une autre question qui ne peut être laissée en suspens. Il faut que ceux qui s’activent auprès des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale puissent dialoguer plus librement, spécialement quand la violence et la consommation sont présentes. Selon quels paramètres ? C’est ce qu’il faudra déterminer.

L’enquête a montré qu’Isaac Brouillard Lessard avait été déclaré non criminellement responsable à cinq reprises pour des infractions en 2014 et en 2018. Il était suivi par la Commission d’examen des troubles mentaux du Québec (CETM) depuis 2014. Or, il est apparu que cette structure juridique cruciale — dont les décisions visent à assurer la sécurité du public — est largement méconnue, sinon inconnue, des policiers québécois. C’est un non-sens.

La CETM doit faire l’objet d’une refonte majeure. Ses pouvoirs doivent être rehaussés et étendus, et ses délais, réduits. Il y a plus largement une ambitieuse réforme des balises légales encadrant les soins en santé mentale à mener. Cela permettrait de clarifier et de mieux partager les responsabilités immenses qui incombent présentement aux psychiatres. « C’est comme si on était les gardiens des comportements des gens. Ça devient très lourd », a témoigné la psychiatre Marie-Frédéric Allard, qui a croisé le chemin de M. Brouillard Lessard en 2018.

Ce dernier vivait depuis un certain temps seul dans un ancien hôtel converti en maison de chambres, où son état s’était dégradé. Un logement supervisé aurait permis de le suivre plus étroitement. Avec autant de gens en détresse et des ressources aussi éparses et mal arrimées que les nôtres, il est clair que le Québec doit se doter de milieux plus structurants pour ces clientèles vulnérables.

Hasard du calendrier, le 26 février dernier, la coroner Kamel publiait son rapport sur la mort violente de trois personnes abattues au hasard par un homme souffrant de troubles mentaux, tombé sous les balles de policiers. Elle y recommandait notamment la création d’un tribunal qui traiterait spécifiquement des affaires impliquant les maladies mentales. Cette nouvelle enquête publique non seulement plaide dans le même sens, mais elle en surligne le caractère urgent. Il y va de la santé et de la sécurité de tous, y compris de ceux qui veillent sur nous.

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