Une exposition probablement non autorisée sur l’artiste Banksy quitte Montréal

Ça sent l’arnaque. Ou le canular. Ou le pied de nez. Ou la blague. Ou tout à la fois, sans respect apparent pour les droits d’auteur et en empochant de gros sous au passage.

La très médiocre exposition Banksyland achève sa présentation samedi à Montréal. L’arrêt québécois s’inscrit dans un circuit de quelques villes nord-américaines (Chicago, Toronto, Vancouver, Orlando…) piloté par Lumio Studio de Portland, spécialisé dans les expos immersives (dont une sur Jésus), et One Thousand Ways, organisateur de tournées artistiques.

Le problème de fond, mais vraiment du très profond, vient de la présentation d’une exposition payante, semble-t-il non autorisée par l’artiste, qui refuse depuis toujours l’utilisation à des fins commerciales de son travail engagé. En fait, il a été impossible de vérifier quoi que ce soit auprès des organisateurs. L’adresse des relations avec les médias n’a pas répondu aux demandes d’entrevue.

« C’est un peu curieux de voir une expo où tout est à l’envers, finalement : on a la commercialisation d’une oeuvre anticommerciale par un artiste qui ne l’a pas autorisée et qui ne touche pas de redevances », dit Me François Le Moine, spécialiste en droit d’auteur. Il a accompagné Le Devoir pour la visite mercredi après-midi. Les commentaires du doctorant en droit, chargé de cours de l’UdeM, ont été livrés immédiatement après la visite à la terrasse d’un café voisin.

« Visiblement, Banksy, qui produit des oeuvres de rue, tire des revenus ailleurs, de quelque part, dit M. Le Moine. Mais très peu d’artistes vivent bien de leur art. Il faut aussi penser à ce groupe énorme qui a besoin d’une protection juridique et d’ententes collectives pour s’assurer d’un revenu minimal en cas d’exposition. »

Le contexte québécois rend cette présentation Banksy encore plus étonnante. Les artistes d’ici ont obtenu récemment le droit de pouvoir négocier avec les diffuseurs privés ou publics (comme les musées) l’exploitation de leurs oeuvres. Des négociations en cours devraient permettre de monnayer le droit d’auteur et le droit d’exposition avec un minimum garanti. L’exposition ou la reproduction d’une toile ou d’une photo devraient par exemple assurer un cachet, ce qui n’est pas automatiquement le cas aujourd’hui, sauf au Musée des beaux-arts du Canada.

« Une présentation publique, oui, c’est une reconnaissance du talent, mais on ne vit pas seulement de l’appréciation des autres, dit Me Le Moine. Là, en plus, on se retrouve dans une exposition commerciale assez décevante quand on la compare aux efforts des musées qui documentent leurs collections, proposent un appareil critique sérieux, détiennent un catalogue. Jamais, quand je vais au Musée des beaux-arts de Montréal, je n’ai l’impression de me faire avoir pour le prix. Là, on sort de l’expo en se demandant si on a tout vu et ce qu’on a vu, puisqu’on ne peut pas faire la différence entre un original et une reproduction. »

Wiki 3D

 

Les billets se vendent 36 dollars plus les taxes de 5,89 $. Des laissez-passer VIP à 79,33 $ donnent en prime une affiche et un accès à volonté aux salles mal éclairées pour une journée.

Le trop cher billet permet de voir quelques oeuvres réparties sur deux étages d’un immeuble déglingué du boulevard Saint-Laurent, un accrochage ressemblant plus à du « garochage » entouré de longs textes explicatifs bilingues. Certaines présentations étudiantes des écoles secondaires font mieux. Les panneaux pédagogiques semblent avoir été rédigés par ChatGPT. L’ensemble donne l’impression de se promener dans une version 3D de la page Wikipédia consacrée à l’artiste.

Très franchement et en toute honnêteté, les 40 et quelques dollars de base exigés seraient bien mieux investis ailleurs. La reproduction d’un pochoir banksien coûte moins de 30 $ sur Amazon. Les livres sur son activisme artistique se vendent chacun à peine un peu plus.

Le fait qu’il soit impossible, surtout avec les médiocres cartels, de distinguer l’origine des oeuvres, de départager les supposés originaux (« salvaged original streetworks », promet le site banksyland.com) des probables reproductions (« handmade studio editions ») achève effectivement de peindre du gris sur du gris dans cette histoire similiartistique.

On nage donc dans le vague et le flou, ce qui rajoute des questions sans réponses. La plus déstabilisante fait se demander si l’artiste Banksy, qui travaille en dehors et même volontairement contre le système de l’art (les musées, les galeries, les collectionneurs, les encanteurs…), a laissé faire cette mauvaise affaire pour ajouter une sorte de critique par l’absurde. On arriverait donc à cette proposition ultime où un artiste contestant les institutions et le marché de l’art laisserait circuler une exposition de reproductions de ses oeuvres antiautoritaires pour démontrer l’aberration de ce même système poussée aux limites de sa bêtise marchande. Ouf !

« Peut-être que ça fait partie du mythe de Banksy et que ça contribue à ce qu’il fait, alors, heureusement que les artistes ont d’autres manières de faire, juridiquement légales, pour obtenir des revenus », poursuit Me Le Moine. Il ajoute qu’il serait strictement impossible de monter une exposition semblable avec des reproductions mêlées à de possibles originaux autour du corpus d’un artiste québécois, par exemple Valérie Blass ou Pierre Dorion.

« La reproduction est un droit exclusif du titulaire du droit d’auteur, dit le spécialiste. On peut organiser un spectacle immersif avec des oeuvres de Van Gogh parce que ses oeuvres sont dans le domaine public. L’exposition aussi est protégée par un droit. »

Une galerie commerciale ne paye pas de droits à l’artiste parce qu’elle expose son oeuvre dans le but de la vendre. Un musée devait jusqu’à récemment négocier les droits d’exposition et devra bientôt négocier des minimums avec les associations d’artistes. « Si l’artiste Banksy voulait absolument empêcher l’exposition, il serait en mesure de le faire, note l’avocat. Il peut refuser l’accrochage d’une reproduction ou d’un original sans autorisation. »

Bref, tout s’embrouille et le mystère de cette exposition, qui heureusement s’achève, reste assez opaque. « Cette expo, c’est plutôt l’exception que la règle, dit François Le Moine. Elle a été autorisée ou pas. Ça va avec le personnage qui rejette le système. C’est son droit d’accepter ces conditions, mais cette solution ne peut être satisfaisante pour la plupart des artistes. Au moins, cette situation aura servi à provoquer des discussions sur les normes établies, sur le droit d’auteur. Ce n’est pas nécessairement inutile… »

À voir en vidéo

You May Also Like

More From Author