Une saison hâtive pour le sirop d’érable

Les grandes chaleurs de février et de mars ne sont pas au goût de tous. La récolte de sirop d’érable a commencé très tôt cette année, et la chaleur ces jours-ci menace de freiner net cette saison, qui s’annonce cruciale pour le marché.

Février est à peine derrière nous, mais Pierre Cormier, maître sucrier, a déjà réalisé 25 % d’une « bonne production » dans sa cabane des Cantons-de-l’Est.

« C’est très bien, sauf qu’hier, dans la cabane, j’étais en t-shirt ! »

Bien qu’il se dise « optimiste de nature », les températures oscillant autour de 10 degrés au-dessus des normales de saison l’inquiètent. Trop de chaleur trop tôt annoncerait la fin de la saison des sucres 2024. « Des nuits chaudes, c’est catastrophique, dit-il. On voit ça au mois d’avril habituellement. Au début mars, on ne voit jamais ça. »

Son inquiétude par rapport au temps chaud se retrouve dans bien des cabanes à sucre du Québec, selon Tim Rademacher, docteur en écophysiologie forestière et chercheur au centre ACER, laboratoire spécialisé dans la science de l’érable.

« Ça a commencé tôt. Ça a commencé fort. Mais est-ce qu’il va faire assez froid en mars pour que ça continue ? »

La saison dure habituellement de cinq à sept semaines et cesse quand les érables ont « accumulé de la température », explique le scientifique.

Chaque jour où le mercure affiche plus de cinq degrés, l’arbre emmagasine en quelque sorte la chaleur. Au-delà d’un certain nombre de degrés accumulés, l’érable commence à bourgeonner. Dès lors, la sève goûte amer ou ne coule simplement plus. Plus les journées sont intensément chaudes, plus se rapproche rapidement cette fatidique date du bourgeonnement.

« Le seuil exact pour l’érable, on ne le sait pas encore. Mais jusqu’à maintenant, avec les températures qu’on a eues, on a déjà accumulé beaucoup de degrés », poursuit M. Rademacher.

Des réserves presque à sec

Devant la menace climatique, le porte-parole de l’industrie se montre rassurant. « On n’envisage pas qu’il manque de sirop », assure Joël Vaudeville, des communications des Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ).

Une saison 2024 décevante viendrait quand même porter un coup dur à la « réserve stratégique » de sirop d’érable du Québec, qui sert à stabiliser les prix à long terme. Les stocks de cet entrepôt secret où dorment des millions de litres de liquide ont atteint un niveau extrêmement bas.

Il n’y reste plus que 15 millions de livres de sirop d’érable. En comparaison, les stocks stratégiques s’élevaient à 100 millions de livres en 2019.

Dans les caves personnelles des érablières du Québec se cachent tout de même 50 autres millions de livres. Or, si la saison 2024 s’avère trop maigre, les réserves pourraient s’amenuiser davantage, ce qui menacerait la stabilité des prix.

Des profits qui fondent comme neige au soleil

Les hivers de plus en plus doux risquent aussi de faire fondre les profits des producteurs, explique Tim Rademacher, car les érables ont besoin de froid pour confectionner leur sucre.

Durant l’été, l’arbre emmagasine son énergie grâce à la photosynthèse sous forme d’amidon, un sucre complexe. L’érable à sucre transforme tranquillement cet amidon en saccharose, un sucre simple, pour combattre les froids hivernaux, car ce sucre est aussi une forme d’antigel. C’est ce saccharose qui donne à la sève son goût si délicieux. Moins le froid est intense durant l’hiver, moins il y a transformation d’amidon en saccharose et moins l’eau d’érable sort sucrée au printemps.

Enfin, moins l’eau d’érable est sucrée, plus cher on doit payer pour la faire bouillir et la transformer en sirop.

À ces risques de chaleur nuisible s’ajoutent de nouveaux insectes ravageurs et les vents violents qui menacent en de plus en plus cette industrie phare au Québec. Toutes ces incertitudes pour l’avenir ne découragent pas les producteurs québécois, comme Pierre Cormier, qui compte bien léguer son entreprise à ses enfants. « On a beaucoup plus de techniques et de connaissances qu’à l’époque » pour compenser ces facteurs, dit-il.

Les acériculteurs sont en réalité plus nombreux que jamais à produire leur propre sirop. 

Quelque 8000 entreprises ont entaillé des érables cette année, une hausse de 739 par rapport à l’an dernier. Cette augmentation autorisée par les PPAQ a inversé le déclin du nombre de productions agricoles au Québec pour la première fois en près de 100 ans.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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