Xi, le prestidigitateur | Le Devoir

C’est on ne peut plus officiel : le leader chinois Xi Jinping a tellement de qualités que sa pensée est désormais enchâssée dans la Constitution du pays. Il a tous les pouvoirs, y compris surnaturels. Il peut faire disparaître les gens et les faits.

Prenez Jack Ma, qui a créé l’équivalent chinois de Google, Facebook et Twitter dans un seul empire, Alibaba. Cet homme, un des plus riches au monde, a disparu de la circulation depuis 2020. C’était peu après qu’il a critiqué les autorités chinoises de réglementation financière comme ayant « une mentalité de mont-de-piété ».

Il suivait dans l’éther son collègue milliardaire Ren Xiao Jianhua, un baron de l’immobilier, disparu pour avoir critiqué la gestion de la COVID par Pékin. Il avait, il est vrai, pris un gros risque en traitant Xi de « clown ». Il purge une peine de 18 ans pour « corruption ». Le procès a duré un jour.

En février de cette année, Bao Fan, un investisseur financier de premier plan, a cessé de se présenter au bureau et à la maison. Son entreprise a fait savoir qu’il « coopérait à une enquête mise en oeuvre par certaines autorités chinoises ».

J’aime le « certaines ». Lesquelles ? Pourquoi ? Pour combien de temps ? Le mystère est l’outil principal du prestidigitateur. La poudre d’escampette s’est aussi abattue sur un ministre : Qin Gang, ministre des Affaires étrangères, a disparu pendant un mois ce printemps, avant d’être officiellement limogé. Pourquoi ? Aucune idée.

Les dissidents politiques ont de tout temps su qu’ils pouvaient d’un moment à l’autre tomber dans une oubliette. On a parlé ici de l’opération internationale chinoise « Chasse aux renards » visant à « convaincre » des membres de la diaspora à revenir au pays pour subir des procès. Un quotidien chinois, le Global Times, s’est vanté de ce que 230 000 Chinois de l’étranger avaient été « persuadés de retourner en Chine pour avouer leurs crimes entre avril 2021 et juillet 2022 ». On en doute.

L’opération d’effacement s’étend aussi au monde des arts. Une vedette du cinéma national, Zhao Wei, est disparue, accusée d’avoir une mauvaise influence sur la jeunesse en les éloignant des idéaux communistes.

Même sévérité envers des stars de téléréalité à l’apparence androgyne. L’administration nationale de la radio et de la télévision sévit contre « l’esthétique anormale » de vedettes « efféminées » qui ont « une moralité douteuse » et qui entraînent les fans dans « un puits sans fond de laideur ». Le couperet est ainsi tombé sur une des émissions les plus écoutées, un genre de Star Académie où les concurrents doivent former des groupes pops féminins et masculins.

Cette année, le magicien Xi a réussi tout un exploit : faire disparaître le chômage chez les jeunes. En juin, le Bureau national chinois de la statistique a annoncé que 22 % des jeunes Chinois étaient sans emploi, un record. Le Bureau a suspendu, à compter de juillet, la publication de cette donnée, pour cause de remise en question de la méthode de calcul.

Au cours des décennies, Pékin nous a habitués à trafiquer les indicateurs de son économie, la chose s’étant estompée pendant les années de forte croissance.

Maintenant que l’économie du géant souffre, les années de 8 % de croissance sont remplacées par un maigre 4 %, la pratique est de retour. Selon une revue de ces omissions faite par le réseau économique Bloomberg, la donnée sur les achats de terrain a disparu, après avoir chuté de 50 %, dénotant un effondrement de l’activité immobilière. Introuvable aussi la donnée sur les avoirs étrangers détenus par la Chine.

Il n’est plus possible depuis avril d’avoir accès de l’étranger à une partie du réseau universitaire, donc à la recherche chinoise jusqu’ici disponible. Même les biographies du personnel politique ont été réduites en ligne à leur plus simple expression.

Évidemment, on sait qu’un des grands rêves de Xi est de faire disparaître Taïwan de la liste des pays qui ne font pas partie de la Chine. On sait qu’un leader fragilisé déclenche parfois une guerre pour unir le pays derrière lui. D’autant que le temps presse, car le dictateur chinois va finir par manquer de recrues pour l’Armée rouge. La population chinoise a commencé à décroître. Un des plus grands événements du siècle en cours sera le dégonflement démographique chinois.

Selon les prévisions des Nations unies, la population chinoise passera de 1,4 milliard maintenant à 800 millions à la fin du siècle. C’est l’hypothèse moyenne. L’hypothèse basse est de 488 millions.

La politique de l’enfant unique décrétée en 1980 en est responsable. Chaque Chinoise avait alors 2,7 enfants. Elle fut levée en 2016, ce taux ayant chuté à 1,7, pour permettre deux enfants. En 2021, le taux ayant encore baissé pour s’établir à 1,2, Pékin annonça qu’on pouvait en avoir trois, mais bien peu de familles font ce choix.

Xi Jinping préside donc au début de la disparition de la moitié de sa population, et de son vieillissement accéléré. C’est son plus grand spectacle en carrière. Un coup historique. La pensée de Xi Jinping étant bien enseignée partout, il n’est pas étonnant que beaucoup de Chinois prennent la décision de disparaître aussi. Environ 300 000 d’entre eux prennent, chaque année, le chemin de l’exil. On se demande pourquoi.

Père, chroniqueur et auteur, Jean-François Lisée a dirigé le PQ de 2016 à 2018. | [email protected] | blogue : jflisee.org

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