Déjà 600 millions de dollars d’indemnités versées au Québec en 2023

Les « événements météo » ont entraîné, depuis le début de l’année au Québec, le versement de presque 600 millions de dollars d’indemnités de la part des compagnies d’assurances en dommages. Le chiffre, six fois supérieur à la moyenne annuelle observée par le Bureau d’assurance du Canada (BAC) il y a 10 ans, fracasse déjà le record établi pour l’ensemble de 2022.

« Le nombre de réclamations, à ce jour, s’élève à 40 736, et le total des indemnités est de 598 790 000 $, souligne le BAC. Ce montant dépasse le record de 585 millions de dollars observé en 2022 et l’année n’est pas terminée. »

En moyenne, chaque réclamation aura donc mené au versement d’une indemnité de 14 700 $. À noter que ni les feux de forêt qui ont ravagé la forêt québécoise cet été ni les inondations qui ont frappé la ville de Baie-Saint-Paul début mai n’entrent dans le calcul du total pour 2023.

L’exclusion de ces deux catastrophes qui ont largement fait les manchettes s’explique simplement, explique Anne Morin, du BAC. Malgré leur ampleur historique, les brasiers n’ont pratiquement pas endommagé d’infrastructures. Quant au centre-ville de Baie-Saint-Paul, saccagé par les rivières du Gouffre et des Mares, la majorité des propriétés se situaient en zone inondable et devenaient, par le fait même, inassurables. C’est le gouvernement du Québec qui a assumé, en très grande partie, le dédommagement des sinistrés.

Le verglas et le déluge

 

Deux événements représentent à eux seuls les deux tiers de la somme versée jusqu’à maintenant. Le verglas qui a frappé le Québec en avril a coûté à lui seul 209 millions de dollars en indemnités. Les pluies torrentielles du 13 juillet, où Montréal a reçu en deux heures les précipitations qui tombent normalement sur la métropole en un mois, ont quant à elles mené au versement de 205 millions de dollars.

Parmi les autres « événements météo » qui ont coûté le plus cher se trouve le froid polaire qui a gelé le Québec aux premiers jours de février et qui a entraîné des indemnités totalisant 66 millions de dollars. Le déluge tombé sur le sud de la province les 20 et 21 juillet derniers a de son côté entraîné le versement de près de 52 millions de dollars. Les villes de Joliette et de Saint-Jean-sur-Richelieu avaient particulièrement écopé lors de cet épisode, avec inondations et refoulements d’égouts en cascade.

Les nouvelles données du BAC confirment que les aléas du climat coûtent de plus en plus cher aux sociétés. Entre 2011 et 2015, la moyenne annuelle des indemnités versées en raison de la météo se chiffrait à 97 millions de dollars. De 2016 à 2020, la somme moyenne grimpait déjà à 222 millions de dollars tandis que pour les seules années 2021, 2022 et 2023, les indemnités versées annuellement ont bondi à 416 millions de dollars en moyenne — une facture que les neuf premiers mois de l’année ont déjà suffi à éclipser.

Un coût réel plus élevé

 

Ces chiffres se traduisent de façon concrète sur le terrain. « Nous connaissons de plus en plus de périodes où les conditions météo deviennent extrêmes et causent des dégâts plus ou moins importants aux édifices », souligne Hélène Racine, directrice adjointe de l’entreprise Toiture Québec. « À titre de premier répondant pour les compagnies d’assurances et d’experts en sinistre, ces appels se comptent par milliers à chaque épisode extrême. Le nombre élevé d’appels remplit rapidement le calendrier d’exécution, les délais s’allongent et nous devons même refuser certains contrats, faute de place dans le calendrier. »

Outre le manque de main-d’oeuvre qui afflige le secteur de la construction, plusieurs raisons expliquent l’explosion du coût des réclamations, analyse Michaël Bourdeau-Brien, professeur agrégé au département de finance, assurance et immobilier de l’Université Laval.

« D’abord, il y a l’inflation : les actifs assurés prennent de la valeur, donc les coûts de reconstruction et de réparation fluctuent eux aussi à la hausse. Une deuxième raison, poursuit le professeur, c’est l’urbanisation : étant donné qu’il y a plus d’actifs immobiliers et que le nombre de logements augmente, ça accentue l’exposition aux catastrophes. En troisième lieu, il y a aussi les changements climatiques. Tous les experts s’entendent pour dire qu’ils sont propres à augmenter la fréquence et la sévérité des catastrophes. »

Le total des indemnités comptabilisées par le BAC ne reflète que partiellement le coût réel des événements climatiques, précise Michaël Bourdeau-Brien. « Outre l’assurance de dommages, d’autres types d’assurances se trouvent durement frappées, elles aussi, par les aléas du climat. Nous n’avons qu’à penser à l’assurance agricole, par exemple : les événements climatiques représentent un coût énorme pour les agriculteurs et leurs assureurs. »

L’explosion des indemnités liées à la météo est un phénomène mondial, expose le professeur de l’Université Laval. Dans certaines régions, par exemple la Floride, les catastrophes naturelles deviennent si fréquentes et répétées que les compagnies d’assurance ne les considèrent même plus comme des événements exceptionnels. « Là-bas, ça devient parfois extrêmement difficile de contracter une assurance », insiste Michaël Bourdeau-Brien.

« Je ne suis pas surpris »

Yannick Hémond se désole de voir 2023 établir un triste record — même s’il n’en tombe pas en bas de sa chaise. « Je ne suis pas surpris, soupire le professeur au Département de géographie de l’UQAM. Je pense, en plus, que ce n’est que le début : ça va aller en s’accentuant, nous en sommes certains. »

Ces données renforcent l’appel à l’action lancé par la communauté scientifique et maintes fois répété par le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. « Il va falloir s’attaquer au fond du problème, croit le professeur. Lutter contre les changements climatiques, ce n’est pas d’acheter un sac de sable, de construire des digues ou d’imperméabiliser nos fondations. Ce n’est pas de toujours réagir : c’est surtout de penser à des manières de réinventer notre façon d’habiter le territoire. Nous voyons qu’avec les inondations, les feux de forêt, les tornades, les glissements de terrain, l’érosion des berges, ça arrive de partout présentement. »

Selon lui, l’explosion des coûts des catastrophes naturelles, pour les assureurs comme pour l’ensemble des sociétés, pourrait forcer les gouvernements à entreprendre des actions plus musclées. « C’est ça qui va mettre de la pression pour qu’ils réagissent. Plus ça va coûter cher, moins les assureurs vont être enclins à rembourser ou plus leurs prix vont augmenter, affirme Yannick Hémond. À terme, ça va devenir un autre facteur qui va venir, encore une fois, augmenter la précarité des gens. »

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