Duranceau offre des pouvoirs « exceptionnels » aux villes pour qu’elles stimulent la construction

Pour accélérer la construction de logements, la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, veut permettre aux villes d’ignorer tous leurs règlements en matière de zonage et d’urbanisme. Une mesure passée inaperçue parmi les nombreux amendements apportés au projet de loi 31 sur l’habitation.

« Je comprends qu’il faut construire du logement, mais est-ce que ça veut dire qu’on veut donner le droit de tout, tout, tout construire ? » demande la députée de Mille-Îles, la libérale Virginie Dufour.

L’amendement 37.2 stipule qu’une ville pourra autoriser tous les projets de trois logements ou plus sans tenir compte de sa réglementation d’urbanisme si elle compte au moins 10 000 habitants et que son taux d’inoccupation est sous la barre des 3 %. Ce régime d’exception serait en vigueur pour une durée de cinq ans.

La semaine dernière, Mme Dufour a talonné la ministre Duranceau à ce sujet, lors de l’étude des amendements au Parlement. Elle y voit un « déni de démocratie » puisque les citoyens perdraient le droit de tenir un référendum local pour contester des changements de zonage.

« Ça veut dire que si dans un secteur résidentiel unifamilial, quelqu’un achète quelques maisons et décide de construire une tour de cinq étages et que le conseil municipal est d’accord, les voisins ne pourront plus rien dire », dénonce la députée, qui était conseillère municipale à Laval avant d’être élue à l’Assemblée nationale en 2022.

L’Ordre des urbanistes du Québec se montre, lui aussi, inquiet. Lundi, il a « mis en garde » le gouvernement contre « une densification à la pièce, via des procédures d’exception ». « Il est essentiel de densifier nos villes, mais il faut le faire de manière réfléchie, avec une vision d’ensemble et des règles transparentes. »

Une mesure « exceptionnelle » contre la « mélasse »

À l’origine, le projet de loi 31 portait sur les relations entre locataires et propriétaires. Il a surtout fait parler de lui pour la très médiatisée révision des règles entourant la cession de bail. Mais les amendements présentés dans les dernières semaines ratissent beaucoup plus large et introduisent toutes sortes de mesures s’attaquant à la crise du logement.

La ministre Duranceau affirme que si ces amendements sont adoptés, les délais d’attente pour les projets de construction pourraient diminuer d’un an à Montréal. Quant à l’article 37.2, l’ampleur de la crise du logement le justifie, selon elle. « C’est une situation exceptionnelle, et on pense que des pouvoirs exceptionnels sont nécessaires. Ce n’est pas le free-for-all », a-t-elle dit pour se défendre en commission parlementaire. Elle a aussi fait valoir que les municipalités n’avaient pas l’obligation de recourir à ce pouvoir.

Outre le droit au référendum, les élus pourraient aussi esquiver plusieurs étapes, comme l’avis du comité consultatif d’urbanisme, l’autorisation du comité de démolition à obtenir avant le remplacement d’un bâtiment existant et différents mécanismes de vérification de la conformité du projet avec la réglementation en vigueur.

« On vient donner de la souplesse. Tout ça est pris dans de la mélasse, c’est trop lent, trop contraignant. Il y a une crise, il faut agir », a expliqué Mme Duranceau.

De leur côté, les associations qui représentent les maires semblent ravies. « Ces mesures offrent une réponse rapide pour faciliter le traitement des demandes, en attendant une réforme plus en profondeur de la loi et du processus d’approbation référendaire », a déclaré le président de l’Union des municipalités du Québec, Martin Damphousse.

Hausse attendue de la valeur des terrains

 

La députée Dufour, elle, aurait voulu qu’on réserve cette voie rapide aux projets de logements à but non lucratif. Dans ses échanges avec la ministre, elle a fait valoir qu’un allégement réglementaire de cette ampleur allait susciter l’appétit des promoteurs et faire grimper les prix des terrains. Les organismes à but non lucratif « vont avoir de la misère à compétitionner », a-t-elle répété.

L’élue libérale a aussi dit craindre qu’on ouvre la porte à du favoritisme, voire à de la collusion, en donnant trop de place à des négociations au cas par cas entre villes et promoteurs sur le zonage à préconiser.

En commission parlementaire, la ministre Duranceau a rétorqué que ses inquiétudes étaient non fondées. « Cette mesure-là va attirer l’attention, donc les municipalités qui vont s’en prévaloir vont être sous les projecteurs et vont agir dans les règles de l’art. »

Mme Dufour estime plutôt qu’une question de cette importance aurait dû être débattue dans un projet de loi à part. « Je ne suis pas nécessairement contre cet amendement-là, mais on n’a pas consulté personne. Et moi, je veux qu’on puisse consulter des gens là-dessus parce que c’est un changement de cap majeur dans la façon de gérer les projets au Québec. »

Selon la professeure Laurence Bherer, experte en consultation publique à l’Université de Montréal, « on ne peut pas régler ça dans un amendement ». « On a un besoin d’une réflexion collective, de faire un grand chantier sur la participation publique », soutient-elle.

La chercheuse souligne que les procédures de consultation publique vont jouer un rôle crucial dans les années à venir. « Ce n’est pas en sautant les étapes qu’on va régler les problèmes. »

Rappelons que ce n’est pas la première fois que les référendums municipaux sont dans la mire du gouvernement. Il y a cinq ans, sous l’impulsion de l’ex-maire de Québec Régis Labeaume, les regroupements d’élus avaient demandé au gouvernement de les abolir dans le cadre du projet de loi 122.

Le ministre des Affaires municipales de l’époque, le libéral Martin Coiteux, avait accepté d’aller de l’avant et avait donné le droit à toutes les villes qui le souhaitaient d’abolir les référendums. Or, dans les années qui ont suivi, seulement une poignée d’entre elles l’ont fait, les autres prétextant que la procédure à suivre était trop restrictive.

La commission parlementaire sur le projet de loi 31 a ajourné l’étude détaillée le 8 novembre. Il faudra attendre au moins la reprise des travaux parlementaires, le 21 novembre, pour savoir quand elle se réunira à nouveau.

Les articles du projet de loi qui concernent la cession de bail n’ont pas encore été adoptés. Si la ministre Duranceau souhaite faire adopter le projet de loi avant Noël, il lui reste au total 11 jours de travaux parlementaires.

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