Il faut qu’on se parle… d’immigration

C’est une image qui a de quoi frapper notre esprit : la population du Canada a augmenté de 1 250 000 en 2023, alors que seulement 240 000 mises en chantier ont été faites dans la même année. Ajoutons à cela que, toujours en 2023, 46 % des demandeurs d’asile du Canada, catégorie d’immigration qui demande le plus de ressources, sont venus s’installer au Québec, ce qui est le double de notre poids démographique au Canada (à 23 %).

La pression matérielle et sociale s’agrandit et mène à des inquiétudes légitimes. Mais pour commencer la discussion, une distinction de base s’impose entre immigration et immigrants.

L’immigrant est une personne qui porte le souhait de s’installer sur une nouvelle terre en faisant le choix — ou qui se retrouve forcé — de s’extraire de son univers d’origine. Dans le débat, nous limitons notre compréhension à cet angle strictement individuel, à tort. Nombre de personnes émigrent parce qu’elles subissent dans leur pays des conditions imposées par l’ordre du monde et l’impérialisme, qui génèrent des guerres, de la pauvreté et de la corruption. 

Le Canada n’est d’ailleurs pas exempt de reproches à cet égard et participe directement ou indirectement à cette émigration. Les mouvements de populations s’inscrivent donc dans une dynamique internationale globale qu’il vaut la peine de prendre en considération. 

L’immigration, quant à elle, réfère plutôt à nos politiques locales. Des politiques qu’on a tendance à simplifier dans les discussions publiques par un chiffre : celui des seuils d’immigration. Et comme la province n’a qu’un seul pouvoir en la matière, on a tendance à orienter nos discussions autour de celui-ci, l’immigration économique (un pouvoir qui se retrouve toutefois limité, comme les processus d’immigration francophone bloquent à Ottawa, sans que l’on comprenne bien pourquoi). 

Mais l’immigration est plus complexe, et pour la comprendre, on doit prendre plusieurs facteurs en compte. Il y a d’abord les différents types d’immigration : économique, humanitaire, réunification familiale, travailleurs temporaires et étudiants étrangers. Chacun a ses propres particularités et défis. Il faut aussi regarder la région d’où viennent les nouveaux arrivants, puisque la facilité d’intégration en dépend en partie (s’ils parlent le français, ou une langue proche du français, si leurs institutions sont semblables aux nôtres, etc.). Il faut aussi regarder la région dans laquelle ils vont s’installer et les ressources qui s’y trouvent. Notons qu’actuellement, 80 % de l’immigration du Québec est reçue dans la grande région de Montréal. 

Les véritables experts de l’immigration auraient probablement plusieurs choses à ajouter à cette courte liste, ce qui en illustre encore davantage la complexité. Mais la complexité et le caractère délicat d’un sujet ne sont pas des excuses valables pour faire l’économie de sa discussion. Loin d’être une simple distraction, l’immigration concerne tout le monde et c’est un dossier fondamental pour notre avenir.

Cet avenir, si on le prend au sérieux, demande que l’on commence par cesser de simplifier à outrance le débat en parlant en termes de gentils contre des méchants ou encore de réduire les immigrants à une simple « main-d’oeuvre » qui s’imbrique dans une « économie ». Le discours d’Ottawa à cet égard est d’ailleurs assez frappant et sa déconnexion de la réalité est incompréhensible, voire inexcusable. Parce que la réalité est faite d’humains qui portent une histoire et une culture qui s’ajoutent à une terre d’accueil composée d’êtres humains qui partagent eux aussi une histoire et une culture. 

Accepter de parler d’immigration, c’est aussi accepter de briser un tabou : celui de la culture du Québec. Une culture unique au monde qu’on résume trop souvent à la langue. Langue dont on parle généralement comme d’un simple véhicule de communication. Or, une langue ne peut vivre sans être incarnée dans quelque chose. Cela implique l’existence d’une culture forte. Et une culture forte s’enracine dans une langue, dans un territoire et dans une histoire. 

Une démocratie qui se respecte reconnaît l’importance de parler de sujets délicats, complexes et difficiles. Il faut le faire, et ce, de manière responsable. Ce que les chapelles partisanes ne permettent pas.

Les craintes et les aspirations légitimes de chacun méritent de trouver un espace pour être exprimées, et les débats doivent être menés jusqu’au bout, même s’ils sont difficiles. Nous avons été admirablement capables de le faire avec l’aide médicale à mourir, et si on remonte un peu plus même, depuis la Révolution tranquille. Nous avons su amorcer des changements importants et responsables lorsque nous nous sommes concertés à l’égard de grands sommets collectifs. Faisons-le pour l’immigration. 

Offrons-nous des espaces dignes de ce nom pour discuter de cette question comme une société adulte, pour trouver des solutions qui passent non seulement par l’État, mais aussi par les organisations qui composent notre société et par nos gestes personnels, individuels et quotidiens. Nous avons tous un rôle à jouer. Nous ne pouvons plus nous permettre de rester observateurs passifs d’un tel phénomène, qui doit être saisi tant dans sa globalité que dans sa perspective proprement québécoise. Il est maintenant grand temps que le Québec organise des états généraux sur l’immigration.

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