Les batailles «académiques» | Le Devoir

On ne peut pas reprocher à Jagmeet Singh de manquer de suite dans les idées. Il l’avait dit on ne peut plus clairement durant la campagne fédérale de 2021 : pour lui, un vrai leader ne devrait pas se préoccuper des champs de compétence, mais plutôt se concentrer sur la recherche de solutions.

Dans son esprit, si le Québec ne veut pas se joindre aux programmes de soins dentaires et d’assurance médicaments sur lesquels le Nouveau Parti démocratique (NPD) s’est entendu avec le gouvernement Trudeau, c’est parce qu’il est dirigé, comme l’Alberta, par un premier ministre conservateur qui ne veut pas investir dans le bien-être des gens.

Le premier ministre Legault avait inclus le NPD dans la liste des partis « dangereux », qui « menacent l’autonomie de la nation québécoise » et pour lesquels il ne fallait pas voter. Son chef ne l’a sûrement pas oublié.

Le sens politique n’est pas la qualité première de M. Singh, mais on ne s’attendait pas à ce qu’il cherche également noise à Québec solidaire (QS), qui comptait parmi ses rares alliés au Québec, où les intentions de vote du NPD ne sont plus que de 11 %, selon le dernier sondage Léger. Sa forteresse de Rosemont–La Petite-Patrie a beau être réputée imprenable, Alexandre Boulerice va se sentir encore un peu plus seul.

Dans un geste pour le moins inusité, le chef néodémocrate a adressé une lettre d’invitation à la fois au ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, et au porte-parole solidaire en la matière, Vincent Marissal, qu’il met dans le même panier, se disant « bouleversé » de constater que les deux hommes « ne pensent pas aux gens » et préfèrent se lancer dans des batailles « académiques ».

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M. Singh a sans doute une connaissance limitée des programmes des partis politiques québécois, mais celui de QS propose depuis des années la création de régimes d’assurance dentaire et d’assurance médicaments publics bien plus complets que les fragiles embryons qui résultent des tractations entre le NPD et le gouvernement Trudeau.

Il a parfaitement le droit de penser que le Québec n’investit pas suffisamment dans la santé, mais les 8785 $ par habitant qui devaient lui être consacrés en 2023 le situaient légèrement au-dessus de la moyenne canadienne (8740 $), derrière l’Alberta (9041 $), mais devant l’Ontario (8245 $), selon l’Institut canadien d’information sur la santé.

Si le chef néodémocrate est d’avis que le réseau québécois de la santé est mal géré, il ne trouvera pas grand monde pour le contredire, mais quelle leçon peut donner Ottawa, qui est incapable de gérer correctement la paie des fonctionnaires fédéraux ou d’équiper l’armée canadienne ?

Que le gouvernement fédéral perçoive trop d’impôt par rapport aux responsabilités que la Constitution lui reconnaît ne l’habilite pas à décider si la bonification des régimes d’assurance québécois, déjà plus étendus que ceux des autres provinces, doit primer la réduction des listes d’attente en chirurgie ou les soins à domicile.

Si l’on en croit M. Singh, tous les premiers ministres du Québec, fédéralistes aussi bien que souverainistes, qui, depuis la Deuxième Guerre mondiale, ont tenté avec plus ou moins de succès de contrer les empiétements d’Ottawa étaient des conservateurs insensibles au sort de leurs commettants qui menaient des batailles « académiques », voire des querelles de clocher.

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La députée de Mercier, la solidaire Ruba Ghazal, a été piquée au vif de voir son parti y être associé. Elle a trouvé « insultant » le ton de la « lettre paternaliste » du chef néodémocrate.

Paraissant surpris de sa réaction, M. Singh a protesté de ses bonnes intentions. « Je veux simplement qu’on s’assoie et qu’on trouve des solutions », a-t-il dit, démontrant du même coup qu’il n’avait rien compris ou ne voulait pas comprendre. La solution est pourtant simple : Ottawa n’a qu’à se mêler de ses affaires et à verser une compensation au Québec.

On n’en attendait pas moins de Mme Ghazal, qui est la porte-parole de QS en matière de souveraineté et de relations intergouvernementales canadiennes. Elle avait fait de l’indépendance le thème principal de sa campagne au poste de co-porte-parole féminine et elle dirige l’opération Nouveau Québec, qui vise à remobiliser les jeunes relativement au projet souverainiste.

Il reste que l’ascension du Parti québécois semble avoir rendu QS plus soucieux des empiétements d’Ottawa sur les champs de compétence du Québec, que Gabriel Nadeau-Dubois trouvait naguère de peu d’intérêt. Cela semble aussi avoir échappé à M. Singh, qui devrait plutôt s’asseoir avec son adjoint québécois avant que les intentions de vote du NPD au Québec tombent dans la marge d’erreur.

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