Test : Mortal Kombat 1 : entre rupture et kontinuité

16 min read

À bien des égards, dans l’arène, Mortal Kombat 1 s’appuie sur le précédent épisode pour garder ce qui fonctionne et bazarder (quelques-uns) de ses défauts. Le gameplay conserve donc une part de rigidité inhérente à la série, entre animations déformées et sauts balourds, mais l’arrivée des combos aériens vient grandement fluidifier l’action, et les enchaînements conservent un style de malade. NetherRealm nous a toujours encouragés à créer des combos en “jonglant” avec l’adversaire. Cela n’aura jamais été si littéral. En plus de leurs palettes de coups au sol, les protagonistes ont maintenant des enchaînements de base en l’air, sans parler de leurs coups spéciaux, et cette verticalité accrue aide beaucoup à nous faire oublier une certaine lenteur au sol. De plus, cela aide également à creuser les différences de plan de jeu entre chaque personnage, et laisse un peu plus libre cours à l’improvisation en plein match. NetherRealm a d’ailleurs tenu à raccourcir les combos à rallonge pour empêcher les jongleurs professionnels de s’approprier la scène : le scaling agressif diminue vite les dégâts au-delà d’un certain palier de coups portés, ce qui encourage à reset pour repartir au combat.

Tout le monde veut prendre sa claque

Simple d’accès, Mortal Kombat 1 s’appuie sur des tutoriels très complets pour présenter les plus petits détails de ses systèmes, tentant plus que jamais de s’imposer comme l’exemple-type du jeu de baston 2D grand public. Un secteur qu’il a toujours su occuper commercialement avec son esthétique, son amour de l’ultraviolence et ses personnages iconiques. Ici, NetherRealm se montre généreux en conseils, en démonstrations, en outils d’ajustement – sans parler des fonctions d’accessibilité très détaillées – et en défis combos, une nouveauté, pour nous apprendre à enchaîner les coups spéciaux sans nous faire des nœuds aux phalanges. Les noobs apprécieront ce souci du bon tutoriel.

L'art du kombo s'apprend en douceur dans le mode tutoriel.
L’art du kombo s’apprend en douceur dans le mode tutoriel.

Une poignée de changements mécaniques spécifiques ont retenu notre attention, tournant globalement autour de la jauge de super unifiée. Une barre sert à renforcer un coup spécial, trois barres servent à rompre un combo ; classique. Mais NetherRealm a choisi de calquer ses coups améliorés sur la concurrence : si, avant, il était possible d’appuyer sur R2 après avoir lancé notre coup spécial pour l’améliorer quand il touchait, il faut désormais presser R2 en même temps, ce qui casse douloureusement nos réflexes musculaires. Cela force aussi à assumer son pari et cramer de la jauge, même lorsqu’on est potentiellement unsafe. Le gain de jauge a été augmenté pour compenser. De plus, Mortal Kombat 1 encourage à punir les adversaires aériens avec des uppercuts ; tout contre réussi permet de cramer deux jauges de super pour décoller dans les airs et commencer un combo aérien. On pourra voir ici une petite inspiration Guilty Gear, peut-être, par rapport à leur système de Dust servant d’amorce universelle aux combos aériens. Les outils de Mortal Kombat 1 restent bien plus conditionnels. Mais force est de reconnaître qu’ils changent le tempo du jeu à haut niveau, donnant un rapport risque/récompense très intéressant aux approches aériennes. À l’inverse, diviser la déchoppe en deux commandes distinctes, selon que l’on tente de se libérer d’une choppe vers l’avant ou vers l’arrière, est une assez mauvaise idée. Tenter la déchoppe peut déjà être un 50/50 dans Street Fighter, alors là, c’est carrément un 33/33/33. Moins qu’un approfondissement, c’est une complication excessive.

Peu avant la sortie de Marvel vs Capcom Infinite, Peter “Combofiend” Rosas avait créé la polémique en définissant les combattants comme des “fonctions”, un ensemble de mécaniques collées ensemble comme l’on assemblerait un build dans Armored Core 6. L’identité du personnage au service du gameplay, pas l’inverse. Un principe de conception discutable, mais qui correspond parfaitement à la mécanique phare de Mortal Kombat 1, les kaméos. On choisit son kaméo avant chaque match. Il est possible de faire appel à eux n’importe quand pour profiter de leurs techniques exclusives ; les combos de Darrius, les imitations de Shujinko, le contrôle de Cyrax. Ils ont leurs propres fatalities. Mais, au fil du gameplay, on se rend vite compte qu’ils ne sont majoritairement que des coups spéciaux additionnels greffés à notre personnage comme on colle une baïonnette sur un fusil. Les kaméos n’ont pas la fluidité d’une attaque de soutien d’un Marvel vs. Capcom. Notre avatar attend poliment qu’ils aient conclu leur intervention avant de repartir à la charge, à quelques exceptions près. Si l’enrobage visuel est assez bon pour leur donner un peu de personnalité, ce sont surtout des outils supplémentaires dans notre besace. De bons outils, attention ; la démone Sareena terrifie déjà les matchs en ligne avec ses projectiles. Mais ne vous attendez pas à avoir la sensation de travailler de concert avec un partenaire. Ils sont là pour dire bonjour, cogner quand on leur demande, et saluer quand le rideau tombe. Il n’y a d’ailleurs quasiment aucune interaction entre notre avatar et son kaméo. Si le gameplay est malin, il y a sûrement de quoi approfondir la formule dans un futur épisode.

Infinite Krisis

Au-delà des nouvelles mécaniques de gameplay, l’autre argument phare de Mortal Kombat 1, c’est son intrigue, qui nous invite à découvrir le Nouveau Monde façonné par Liu Kang dans son infinie sagesse shaolin. Clarifions la confusion avec le précédent reboot, Mortal Kombat (2011) : l’un ramassait les cartes pour les rebattre, l’autre soulève la table, renverse le plateau, et invite les joueurs à revenir dans un autre contexte. Raiden n’est plus qu’un simple mortel dépossédé de ses pouvoirs, cousin de sang de Kung Lao et humble paysan appelé à combattre pour le Royaume Terre. Johnny Cage est toujours un petit con imbu de sa personne, mais tout de même moins égocentrique, et surtout, sans Sonya Blade au bras, ni Cassie Cage au landeau. Reptile, Ashrah, Baraka, Li Mei et Tanya, souvent condamnés à n’être que des seconds couteaux, des adversaires génériques en mode histoire à tamponner sans prétention, ouvrent ici des pistes scénaristiques intéressantes qui réinventent ces personnages avec intelligence. Par exemple, de Baraka, NetherRealm a gardé ses crocs défigurants, ses lames d’avant-bras et son rôle de chef de clan, mais c’est désormais un marchand victime de l’immonde peste tarkatane qui lutte pour protéger les autres infectés, mis au ban de la société. On saluera également le travail autour de Mileena qui, s’il reste dramaturgiquement simple, a l’audace de relire le personnage – et de montrer que Liu Kang, s’il se garde de commenter sa création, a souhaité offrir un avenir meilleur aux personnages tragiques.

Hélas, si chaque personnage reste iconique à sa manière, NetherRealm reste engoncé dans la même vieille structure de mode Histoire, découpant l’intrigue en une quinzaine de chapitres, chacun focalisé sur un même personnage pour nous apprendre à le contrôler au fil de quelques rounds. En résulte une progression narrative parfois hasardeuse soutenue par des dialogues d’exposition d’une pauvreté toujours affligeante, régalant l’amateur de nanars, oui, mais nous assommant de déclarations élémentaires, rarement d’échanges approfondissant les liens entre nos protagonistes. Et si le texte n’est déjà pas reluisant, le doublage français peine à relever le niveau, en partie à cause d’une synchro labiale discutable, en partie car une bonne moitié du casting se fout éperdument de ce qu’il se passe. Liu Kang, Shang Tsung et Kenshi donnent leurs tripes pour donner corps à ce scénario de Power Rangers, mais Raiden assène ses sophismes avec la même neutralité que les annonces du métro parisien, conservant un étrange ton de voix uniforme décorrélé de son attitude physique. C’est d’autant plus dommage que les animations faciales ont franchement progressé depuis les derniers épisodes. Johnny Cage, par exemple, arbore un parfait mélange de malice, d’ébahissement, d’inquiétude et de confiance. Li Mei et Reptile aussi nous ont (positivement) surpris. Motion capture ou animation à la main ? Quoi qu’il en soit, NetherRealm a bossé sa copie.

Presque le personnage principal de l'intrigue, Shang Tsung a été traité avec le soin qu'il lui est dû, autant au niveau gameplay et modélisation que doublage ou scénario.
Presque le personnage principal de l’intrigue, Shang Tsung a été traité avec le soin qu’il lui est dû, autant au niveau gameplay et modélisation que doublage ou scénario.

Point de bonne histoire de Power Rangers sans méchant emblématique pour épuiser nos héros. À ce titre, Mortal Kombat 1 use très judicieusement de Shang Tsung dans un rôle à double emploi dont les véritables implications ne se dévoilent que tardivement. L’antagoniste originel de la franchise est devenu un petit bonimenteur arriviste, réduit à l’état de marabout menteur et mythomane par les machinations de Liu Kang, qui retrouve ses véritables pouvoirs quand une mystérieuse bienfaitrice lui montre son potentiel. Sans divulgâcher l’intrigue, cette mystérieuse sorcière, dont l’apparition fugace sur les réseaux a réveillé de vieilles crises d’urticaires chez les vétérans de MK11, tient ici un rôle plus réduit, mais aussi plus intéressant. Shang Tsung est un habile manipulateur dont la cruauté n’a d’égale que l’ambition, un serpent dans l’âme, vite rejoint par Quan Chi pour reformer leur fameuse Deadly Alliance. D’autres clins d’œil appuyés à l’époque PS2 sont parsemés dans le titre – dont le retour d’Ashrah, Nitara et Havik – mais le scénario, dans un acte final complètement décomplexé, referme définitivement l’ère des pseudo-remakes. Impossible cependant d’évacuer le sentiment que Mortal Kombat 1 cède aux dernières tendances par facilité, creusant ses histoires de voyage temporel dans une direction multiverselle déjà éculée, visible à des kilomètres, qui s’avère finalement bien moins intéressante que les chamailleries de la famille royale d’Édénia ou la surprenante camaraderie entre Johnny Cage et Kenshi Takahashi.

Les vrais héros de tous les temps

Redémarrer le scénario sur de toutes nouvelles bases offre également de nouvelles lectures en terme de gameplay. Aucun personnage ne revient tel quel, excepté, si l’on plisse les yeux, Sub-Zero et Scorpion ; chacun possède de nouveaux tours dans sa besace, s’inspirant partiellement d’Injustice, je pense, pour accentuer leur personnalité en jeu. Par exemple, Johnny Cage possède une jauge de gloire à remplir en tauntant l’adversaire, et un public fantôme lui lance quelques cris d’encouragement lorsqu’il est temps de passer aux fatalities. Ashrah peut maudir ou bénir son épée pour jouir de différents avantages. L’impériale Sindel peut forcer le kaméo de l’adversaire à (temporairement) rentrer à son service. Le Général Shao peut lancer sa hache pour passer au corps-à-corps, mais aussi manipuler son arme de loin. NetherRealm s’est vraiment fait plaisir pour approfondir l’identité de chacun, avec un soin comparable au polish de Street Fighter 6, pourtant une référence moderne incontestable sur ce point. Même quand les movesets sont plus simples, sans chichis, les combattants jouissent de nouveaux outils originaux approfondissant leur style de jeu, comme les multiples projectiles de Kitana ou la confusion semée par les téléportations de Smoke.

Par-dessus la charpente ludique, NetherRealm a appliqué une élégante plastique dans la continuité de Mortal Kombat 11, techniquement assez solide, mais qui brille surtout par la magnificence de ses arènes. Le bond visuel est en effet moins conséquent sur les personnages – il reste une belle poignée d’animations rigides dont les américains ont le secret. Qu’importe. L’intrigue nous emportant fréquemment dans la magnifique capitale d’Édénia, les arènes favorisent des environnements plein de vie, plein de spectateurs bovins aussi, comme le veut la tradition, mais éclipsés par des panoramas profonds et détaillés, étonnamment colorés, couverts de pétales de fleurs ou baignés dans la douce lumière du couchant. Deux rings sortent clairement de la mêlée selon nous : le Manoir de Johnny Cage, qui confirme, après Dead Island 2, que Los Angeles est vraiment la bonne ville pour pousser les potards graphiques, et le laboratoire secret de Shang Tsung, où gisent d’immondes expériences chimériques dégoulinant d’entrailles et de pus.

Sans surprise, les fatalities nous en mettent également plein la vue avec un système de gore toujours plus pseudo-réaliste, distordant les corps au besoin pour assouvir les fantasmes grindhouse les moins avouables. Les fatal blows, attaques spéciales avec notre partenaire kaméo, sont déjà assez dévastatrices en terme d’impact ; remplaçant de facto les anciens coups en rayons X, on peut y voir des jambes être disloquées de leur hanche, ou des fragments de crâne être réduits en poussière sans le moindre respect pour la biologie élémentaire. Mention spéciale au fatal blow de Shang Tsung, innovant, qui injecte un fluide dans la moelle osseuse de sa victime pour faire muter sa cage thoracique en bouquet d’épines. Mais les fatalities, les grands finales, renouent partiellement avec l’efficacité de leurs aînés. MK11 avait tendance à trop faire durer la boucherie dans un souci de mise en scène presque excessif. Mortal Kombat 1 préfère généralement aller droit au but avec des concepts plus frappants. Le revers de la médaille, c’est que les vétérans semblent à court d’idées ; que ce soit l’improbable boomerang de glace de Sub-Zero ou les grappins à tête chercheuse de Scorpion, on sent qu’au bout d’une trentaine d’exécutions, ils arrivent au bout de leur inspiration. Ce n’est pas tellement que cela semble ridicule : quand Jax devient géant pour écraser notre adversaire de son pied comme un vulgaire cancrelat, ou que Cyrax fait sauter la planète entière, l’exagération comique fait sourire. Ici, c’est plus une absence de concept fort que l’on reproche. Mais globalement, le casting reste très inspiré. Que Li Mei transforme nos intestins en chandelle romaine ou que Havik nous donne (littéralement) son cœur, NetherRealm a encore du carburant dans le moteur à tripaille.

La fièvre de l’or

Malgré toutes ces excellentes intentions, Mortal Kombat 1 commet un péché capital dont le goût reste amer en bouche : Quan Chi et Ermac, deux personnages centraux du mode Histoire, ne seront disponibles que plus tard en DLC. Idem pour le kaméo Khaméléon, que l’on croise au fil d’un chapitre. Foutage de gueule ? Oui, assumons le terme. Shang Tsung, le fichu antagoniste principal, est lui réservé aux précommandes. Il y a de quoi criser.

Vous les voulez ? Faut raquer
Vous les voulez ? Faut raquer

C’est que la peste du pognon court dans les veines de Mortal Kombat 1, que ce soit dans la ridicule loterie aléatoire remplaçant la Krypte, où nous devons investir la monnaie gratuite du jeu pour dégoter des récompenses au hasard, ou les trouzemille devises freemium. NetherRealm s’appuie notamment sur un système de “crédits saisonniers” dotés d’une date de péremption ; une saison durant environ un mois et demi, comprenez vite qu’il s’agit de vous faire jouer autant que possible. Pour cela, les équipes d’Ed Boon s’appuient sur le FOMO, cette vieille peur de rater un quelconque contenu cosmétique, et si vous mordez à l’hameçon, vous êtes partis pour farm sans relâche. Et même si votre carte bleue reste sagement cachée, les cosmétiques gratuits inclus dans le jeu demandent de monter le niveau de chaque personnage individuellement pour les débloquer, un processus assez lent, voire rébarbatif, selon votre appréciation. Au moins, cette fois-ci, tous les coups spéciaux sont disponibles dès le début, et les options de customisation proposées sont des costumes alternatifs, des breloques à modifier ou des couleurs à pimper.

En soi, le mode Invasion n’est pas une mauvaise idée. Mis en scène sous la forme d’un jeu de plateau où des intrus multiversaux viennent régulièrement perturber la vie du Royaume Terre, il nous demande de compléter des séries de parcours avec un penchant light-RPG donnant lieu à des équipements statistiques, des tableaux élémentaires imbuvables et des micro-énigmes dans la veine des précédents épisodes. Certains combats doivent s’accomplir en conditions spécifiques, avec un démon qui passe régulièrement cracher du feu par exemple. Le seul souci, c’est que la majorité des adversaires jouissent d’une super-armure et/ou de dégâts gargantuesques, rendant la progression plus fastidieuse que de besoin. De quoi nous rappeler le mode World Tour de Street Fighter 6, en moins charmant, mais en tout aussi répétitif…La manette nous y tombe assez vite des mains. Dommage que NetherRealm, qui avait créé des missions parallèles plus ambitieuses dans Mortal Kombat (2011) et Injustice, se voit réduit à mouliner des cartes d’Invasion à chaque saison pour faire tourner la machine à billets. Entre ça et les DLCs, c’est une sale tâche sur le bilan.

Concluons sur un point positif, le netcode, qui s’avère plutôt solide. Aucune déception du côté des serveurs. Normal, car Netherrealm se contente de réchauffer la formule des précédents épisodes avec une ligue de kombat bourrée de récompenses saisonnières, leur traditionnel mode Roi de la Colline, des tournois privés, et un système de matchmaking rigide au niveau de l’interface, qui empêche de chercher passivement un match pendant que l’on s’entraîne. Ni plus, ni moins que la popote habituelle, qui, vous l’aurez compris, pèche plus par ses aspects pratiques que par la stabilité des matchs en ligne.

You May Also Like

More From Author