Test : Super Mario RPG ou le Geno manquant entre la SNES et le remake

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L’exception culturelle nord-américaine

Une première chez nous, mais surtout un comeback attendu de pied ferme outre-Atlantique où le titre jouit d’un culte persistant depuis plusieurs dizaines d’années, perpétuellement renouvelé par la (re)découverte des magies de l’émulation plus ou moins légales par chaque génération successive. Croyez-le ou non, mais cette glorieuse réputation repose bien sur autre chose que le simple attrait d’un “bijou caché” – derrière la hype toute ‘ricaine se cache bien l’un des RPG les plus brillants de sa génération, le genre d’étoile filante propre à un Squaresoft en roue libre totale ; datant d’une époque où Nintendo n’imposait pas des directives artistiques aussi strictes que le Goskomizdat soviétique en son temps.

Pour sa mise en jambes dans le genre bien codifié du jeu de rôle au tour par tour, Super Mario RPG marque sa rupture dans ses dix premières minutes – introduisant non seulement une partie du casting habituel avec Mario, Peach et Bowser, distillant son système de combat au tour par tour dynamique pour finir sur l’arrivée de son grand antagoniste Exor, une gigantesque épée tombée du ciel, brisant au passage la route des étoiles en plusieurs fragments qu’il faudra aller chercher çà et là aux quatres coins du royaume Champignon. Une structure redoutablement classique comme une succession d’excuses entrecoupées de mini-jeux anecdotiques pour faire vadrouiller le trio à la rencontre de compagnons et autres personnages jamais vu auparavant : le charmant Mallow, bonhomme-nuage persuadé d’être un tétard et Geno, jouet-animé par la force des étoiles, accessoirement la star aux yeux des fans étatsuniens.

Tout nouveau, tout beau

Par leurs designs particuliers et leurs caractères bien marqués, ces (anciennes) nouvelles têtes sont à l’image de la maline écriture qui parcourt le titre : sous une épaisse couche de naïveté se cache un redoutable second degré, toujours à même de surprendre le joueur par le rire et, moins souvent mais toujours de façon pertinente, par des moments d’émotion suspendus en de petites phrases d’une justesse impressionnante. Dans une année qui ne manque pas de remakes ambitieux – parfois augmentés (Resident Evil 4), parfois simplement transformatifs (System Shock) – ArtePiazza a ici fait le choix consciencieux de ne pas céder aux sirènes de la modernité en conservant la mise en scène d’origine à la frame prêt. Une façon de retranscrire des émotions par une économie impressionnante d’animations (des bras en l’air, un saut, un mouvement de tête) propre à l’ère 16-bit, à la simplicité facétieuse toujours efficace. Le seul luxe que s’est accordé le studio est la présence de cinématiques pleines de charme, intervenant lors des moments narratifs les plus forts.

Cette économie en gestes se marie finalement assez bien avec la nouvelle patine graphique. Bien conscient que sa politique d’assainissement artistique (Paper Mario, on t’oublie pas) a forgé des habitudes durables auprès du grand public pour une image de marque qui n’a jamais été aussi forte, Nintendo n’allait pas laisser les quelques libres interprétations de la cartouche de 1996 passer sur celles de 2023. Une perte qui peut sembler anodine, mais qui enlève bien une partie du charme propre à la direction artistique d’origine, finalement très marquée par des proportions et des codes couleurs drastiquement différents des guidelines actuelles. Cette uniformisation renforce la dissonance entre le bestiaire dit classique et celui propre au RPG, marqué par la patte de Kazuyuki Kurashima, futur character designer pour le studio Love-de-Lic et dont le casting d’antagonistes évoque l’onirisme de Moon : Remix RPG Adventure. On aurait aimé voir plus d’audace dans ce lifting en haute-définition : celle de garder toute les excentricités de son matériel d’origine, quitte à bousculer un peu l’image (trop ?) lisse du plombier.

Le bilan est tout aussi partagé concernant le pan technique de Super Mario RPG, à la peine sur un hardware dont l’âge se fait sérieusement ressentir. D’un côté, force est de constater l’habile travail réalisé sur les lumières pour donner une épaisseur, une texture toute particulière aux environnements, certainement la plus grande force de ce ravalement de façade qui, par sa perspective isométrique, prend des allures de charmantes petites maquettes pleines de vie. Ce qui est moins charmant par contre, c’est la fréquence d’image en souffrance à chaque petit artifice un peu trop gourmand (un peu trop d’eau, un peu trop de PNJs à l’écran) : double-buffer oblige, le frame rate est divisé de moitié pendant quelques secondes intempestives le temps de récupérer son souffle. En espérant qu’un patch salvateur viendra gommer ces quelques aspérités.

Une philosophie similaire s’étend également pour toute la partie sonore du jeu, qui voit Yoko Shimomura revenir une nouvelle fois aux commandes. Un travail de réorchestration des musiques dans sa grande majorité réussi, mariant les mélodies originales (parfois à la note près) avec un juste choix d’instruments. Mention spéciale aux thèmes des combats, autant celui des mobs que celui des boss, qui comptent parmi les thèmes les plus emblématiques de la cartouche et qui ont particulièrement bien vécu ce passage au siècle 21 – au même titre que les bruitages, conservés ici avec un zèle admirable. On regrette néanmoins que certaines des boucles musicales les plus courtes (d’une demi-minute généralement) soient malheureusement devenues encore moins supportables par l’ajout de sonorités fracassantes pour le crâne. Bonne nouvelle pour les plus nostalgiques néanmoins : il est possible de switcher sur la bande-son originale 16-bit en un simple passage dans le menu options du jeu, fait toujours appréciable.

Le plus faible taux de nouveautés est à retrouver du côté des combats, l’oeuvre de Yasuyuki Hasebe (d’où la filliation future avec Legend of Dragoon) étant largement transposée à l’identique dans son système d’interaction dynamique. Que l’on soit en attaque ou en défense, l’exécution d’une commande se fait bien souvent par la pression d’un bouton au moment opportun. Une mécanique essentielle dans la gestion de sa défense, mais aussi dans le maintien de son combo, chaque action parfaitement réalisée permettant de booster les attributs des membres de l’équipe. La précision en combat est également récompensée par la montée d’une jauge dit “d’action”, une nouvelle addition au battle system qui permet de lancer de puissantes techniques spéciales en fonction de la composition de son trio – ce qui, couplée avec la possibilité de switcher les membres en plein combat sans pénalité de tour, apporte une flexibilité bienvenue pour accélerer le tempo de ces joutes déjà bien rythmées. Une ouverture vers un public plus jeune aussi, potentiellement encore néophyte du genre attiré par le star power (sans mauvais jeu de mot) de Mario et sa bande, qui devra néanmoins composer avec une difficulté parfois inconstante, mais rarement punitive grâce aux nombreux checkpoints activés à chaque nouvel écran. Des efforts louables sur la panoplie offensive… Mais pas tellement d’ajustements côté timing : plus de 25 ans après, il est toujours difficile de bien comprendre le bon timing pour les commandes parfaites. Même l’ajout d’une aide visuelle n’aide franchement pas : voilà un héritage d’époque dont on se serait bien passé.

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